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Samizdat

Rapport minoritaire.





Un film de Steven Spielberg
Universal Studios, 2002,
Durée: 2h 26

Critique par Zoltan Horvath[1]



Dans son film de science-fiction Rapport Minoritaire (Minority Report), c'est d'un point de vue profondément postmoderne que Steven Spielberg explore les thèmes de la justice, de la liberté individuelle, de la religion et de la moralité. Malgré certains défauts, Rapport Minoritaire présente néanmoins des instants dramatiques ainsi que des enchaînements empreints de suspense et d'action, le tout enrobé dans une intrigue irrésistible. Le film décrit une société du futur très cohérente dans laquelle le meurtre peut être prévenu grâce à l'exploitation des capacités prémonitoires particulières d'individus dont la vision du meurtre en permet l'interruption avant qu'il ne se produise. Mis en état d'arrestation avant même qu'il ne passe à l'acte, le meurtrier en devenir est accusé de «pré-crime». Il est alors placé en état d'animation suspendue pour ce qui semble être une condamnation à perpétuité, assimilable à une peine capitale. Durant son incarcération, de merveilleux rêves occupent l'esprit du «criminel».

Ce système apparemment parfait commence à se fissurer lorsque le personnage principal, un chef de police dont le rôle est tenu par Tom Cruise, est sur le point d'être arrêté pour le «pré-meurtre» de quelqu'un qu'il n'a jamais rencontré auparavant. Cette situation le conduit à questionner la fiabilité du système qu'il a lui-même contribué à mettre au point. Évitant la capture, il cherche à établir son innocence, mais durant sa fuite il découvre des failles dans le système, ce qui l'amène à remettre en question la foi qu'il avait à son égard.

Rapport Minoritaire est très divertissant, mais présente une dimension fortement religieuse et tout à fait postmoderne. La prédiction des crimes est effectuée par l'entremise des visions de trois «précogs», de jeunes adultes doués de pouvoirs prémonitoires depuis leur naissance de mères toxicomanes. Les précogs sont enveloppés d'une imagerie religieuse ici mise en évidence. Ainsi, les analogies avec le Dieu trinitaire des chrétiens abondent. Les trois individus possèdent la même capacité de prescience et fonctionnent comme une seule entité. Si l'un est retiré, le système ne peut plus fonctionner normalement. Qui plus est, une hiérarchie prévaut parmi eux. Évidemment, le plus doué est la femelle, bien qu'ils paraissent asexués. Officieusement, le lieu où ils vivent est surnommé «le temple».

L'imagerie relative à Dieu est frappante, mais pervertie par la vision postmoderne de la religion. Les précogs sont assimilés à des «oracles» et à des «dieux», vénérés par une part du public. Toutefois, ces individus restent inaccessibles au public et, donc, voilés de mystère. Ce qu'ils révèlent et la façon dont ils vivent demeurent peu connus et, bien sûr, il existe un écart sensible entre la réalité et la croyance populaire à leur sujet. À un moment donné, il est établi que ce sont les prêtres, et non les oracles, qui contrôlent le pouvoir religieux. L'oracle représente la parole provenant directement de Dieu et est, par conséquent, objectif. Cependant, le message est filtré par les prêtres qui le transforment à leur avantage. De ce fait, il n'existe pas de possibilité de connaître et d'expérimenter Dieu, même s'il communiquait objectivement. Cette idée d'impuissance de Dieu est véhiculée dans l'imagerie du film par le maintien des précogs dans la passivité et la dépendance. Alors que l'on abuse des précogs, d'autres personnages exercent le vrai pouvoir. En somme, la conception de Dieu que Rapport Minoritaire communique est celle d'un objet pouvant être utilisé selon ses besoins et formé à sa propre image plutôt que celle de l'Être suprême auquel il faut se conformer.

précogs

La justice est un autre thème majeur dans ce film. Le châtiment de criminels pour des crimes qu'ils auraient éventuellement commis soulève la question philosophique bien connue : «Si vous aviez rencontré Hitler alors qu'il était encore enfant et que vous aviez su qu'il serait responsable de la mort de millions de personnes, qu'auriez-vous fait?». La bonne réponse d'un point de vue biblique peut seulement être que nous n'aurions pas dû faire quoi que ce soit. En effet, cette question nous propose de jouer à Dieu, parce que seulement lui possède une telle prescience. Dans Rapport Minoritaire, cette prescience est placée entre des mains humaines. Si nous anticipions des actes criminels pour ensuite intervenir afin de stopper le mal avant qu'il ne se produise, et ce, d'une manière telle que Dieu n'a pas voulu utiliser – manifestement, Il n'a pas éliminé Hitler dans sa jeunesse – , alors nous nous établirions juge sur sa souveraineté vis-à-vis le mal et nous tenterions présomptueusement d'améliorer la sagesse de son divin plan.

Finalement, dans le film, on met fin au programme de pré-crime, mais pour de mauvaises raisons. Le principal problème soulevé est que les précogs pourraient faire erreur. En effet, le film tire son nom du fait que la vision de l'un des précogs peut diverger de celle de ses pairs, d'où la production d'un «rapport minoritaire». Le programme est abandonné à cause du risque qu'une erreur se produise et tous les criminels reçoivent un pardon inconditionnel, malgré le fait qu'ils n'ont commis aucun crime! Cette argumentation à l'encontre du programme est analogue au raisonnement effectué spécieusement par de nombreuses personnes à l'égard de la peine capitale : comme une personne pourrait être mise à mort par erreur, l'exécution de la justice prescrite par Dieu devrait donc être complètement abandonnée.

Une autre difficulté que soulève le film avec le système de pré-crime est la supposition à l'effet que nous sommes des êtres libres pouvant agir de manière différente de ce qui a pourtant été prédit. Les personnages ont toujours le choix et peuvent contredire la vision de l'oracle. Cette idée s'oppose au principe de la souveraineté de Dieu et remet en question la prescience divine, rendant Dieu encore plus impotent.

L'enjeu de la justice véritable n'est pas abordé de manière adéquate dans Rapport minoritaire. Le programme pré-crime n'est pas délaissé parce qu'il est intrinsèquement injuste. Punir quelqu'un pour un crime qu'il est sur le point de commettre ne procède pas d'un mandat biblique et constitue donc une violation de la justice divine. Dans le film, ce dilemme est exposé, mais seulement en rapport avec la probabilité d'erreur. Toutefois, il est montré que, puisque le taux de meurtre est tombé à zéro, aucune erreur n'existe. Ainsi donc, le taux de succès est de loin plus important que la question de la justice. Encore une fois, ceci est analogue aux arguments qui jaugent la valeur des méthodes visant à punir les criminels uniquement sur la base de leur efficacité à décourager la récidive, sans aucune référence aux principes de la justice.

En définitive, Rapport minoritaire représente un exemple de l'idéologie postmoderne qui envahit notre société. Cette idéologie admet l'importance de la religion, mais la dépossède de toutes les certitudes objectives auxquelles on puisse croire. Il n'y a pas de véritable salut, ni dans le film, ni dans ses personnages. En bout de piste, la vérité et l'espoir propres à l'Évangile sont rejetés et l'auditoire est condamné à grappiller quelques grains de signifiance à travers la balle de l'illusion.



Commentaire du traducteur:
Il faut noter, touchant la peine de mort, qu'il est notoire que de nombreux chrétiens – croyant tout autant dans la justice de Dieu – n'endossent pas forcément l'application humaine de ce châtiment, et ce, pour des raisons tout aussi bibliques. Tout en ayant en tête que Rapport minoritaire n'est certes pas un film au message chrétien et qu'il ne faille donc pas s'étonner des idées hétérodoxes qu'il communique, l'article de Zoltan Horvath soulève toutefois de nombreuses questions pertinentes et met en évidence que certains films – notamment de science-fiction ou faisant appel aux dimensions psychiques et surnaturelles – véhiculent des pensées postmodernes allant souvent carrément à l'encontre de la foi judéo-chrétienne.


Note

[1] - Traduction Stéphane Gariépy (révision P. Gosselin)