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Les évangéliques et la politique...




Paul Gosselin

Sur le plan historique, les évangéliques nord-américains se sont surtout identifiés avec la droite sur le plan politique. Ailleurs dans le monde, des variations existent et d'un pays à un autre les évangéliques peuvent se trouver alignés parfois avec la gauche. En Angleterre par exemple, il semble que le parti Travailliste ait été fondé par des chrétiens évangéliques. Au Canada on retrouve le fondateur du parti New Democratic Party (NDP[1]) qui, dans le paysage politique canadien est considéré à gauche. Ce parti a été fondé par J. S. Woodsworth, pasteur protestant. Par ailleurs, Tommy Douglas, un baptiste et pasteur du Calvary Baptist Church à Weyburn à la Saskatchewan a été très actif dans ce parti. Douglas, pour sa part, a introduit au gouvernement fédéral canadien le concept d'un système de santé publique, payé à même les budgets gouvernementaux. Évidemment, à l'heure actuelle, l'influence des évangéliques sur ce parti est plutôt négligeable. Sur le plan des valeurs démocratiques en Occident, l'anthropologue Kenelm Burridge signale l'apport du christianisme (1979: 188)

Nos manuels scolaires, que ce soit du secondaire jusqu'à l'université, nous enseignent généralement que la démocratie nous vient de la Grèce. Dans les milieux "politically correct" on oublie trop vite que, dans la Grèce antique, seuls les membres des classes nobles avaient droit de vote. Les esclaves n'avaient aucune part aux grandes institutions démocratiques. Et les esclaves constituaient 75% de la population... Schaeffer, pour sa part, signale que (1976/95: 87, 108, 113) le concept de l'homme, fait à l'image de Dieu, a eu des répercutions importantes sur le plan de la vie de l'Église. Il a ouvert la porte à la notion de la prêtrise des croyants et à un début de démocratie ecclésiastique avec l'admission des anciens, c'est-à-dire des individus chrétiens matures mais sans formation ecclésiastique. D'autre part, le concept de la loi de Dieu, au-dessus des lois des hommes, a servi de rempart contre le pouvoir absolu des rois. Dans les pays touchés par la Réforme le pouvoir absolu des rois a été opposé et limité. Dans la suite de cette logique, les pays touchés par la Réforme ont établi des systèmes politiques décentralisés, où le pouvoir est réparti entre diverses fonctions. Un coup d'œil rapide sur le plan géopolitique révélera une rapide convergence entre les pays touchés le plus profondément par la Réforme et les pays où les traditions démocratiques sont les plus profondes. Ce n'est pas une coïncidence. Touchant les restrictions au pouvoir des rois (et l'étincelle qui fit naître la démocratie en Occident) Pierre Sayous, auteur du XIXe siècle compare les attitudes catholiques et protestantes à ce sujet (1881: 335)

Je pense qu'il y a une très grande diversité des moyens d'action sociale qu'un disciple de Jésus peut envisager. Un dimanche, mon pasteur a mentionné, dans un sermon, le cas d'un philanthrope capitaliste (évangélique) qui a aidé des individus sur sa route et fondé des maisons pour secourir des adolescents délaissés. Il y a donc des moyens de s'impliquer sur le plan social qui sont plus facile à envisager pour la personne de milieu conservateur et d'autres qui sont plus faciles à envisager pour la personne de milieux intello / de gauche. Ce n'est pas très important au bout du compte. Ce qui compte c'est d'avoir un cœur à secourir son prochain (et d'agir, pas juste en parler).

Une des raisons pourquoi il me semble nécessaire que les évangéliques abolissent dans leur langage les concepts de droite et de gauche est que les deux positions sont déficientes devant le plein conseil de la Parole de Dieu. Il faut avoir une attitude critique et réfléchie à l'égard des deux approches et ce détachement est tout aussi pénible à atteindre pour les partisans de la droite que pour la gauche. En Amérique c'est la droite qui a la plus grande part. En Europe par contre, et dans bien des pays, la gauche jouit d'un prestige traditionnel. En général, les évangéliques reflètent ces tendances dans leur identification politique. Mais au fond, la démographie idéologique n'a pas grande importance sauf pour comprendre les positions initiales de l'un et l'autre.

Si on examine la droite à partir d'une perspective biblique, elle est forte sur le plan de la moralité individuelle (absolus moraux, respect de la famille, etc.) mais faible sur le plan de la moralité collective. À la droite on se préoccupe des formalités de la religion tout en négligeant des questions de partage et d'équité sociale que les prophètes soulignaient souvent. Esaie note par exemple:

Par contre si on examine la gauche à partir d'une perspective biblique elle est justement forte sur le plan de la moralité collective (ou les questions de justice sociale, droits des opprimés, etc.) mais faible sur le plan de la moralité individuelle. Ni l'une ni l'autre n'est vraiment satisfaisante à partir d'une perspective biblique et sont donc critiquables. D'une certaine manière on peut dire qu'il y a l'inconscience de la droite et aussi, l'inconscience de la gauche. La gauche, tandis qu'elle tend à maintenir une attitude très critique face aux institutions capitalistes, tends à perdre tout esprit critique lorsqu'il s'agit du rôle de plus en plus omniprésent de l'État dans les sociétés à tradition socialiste. À chacun ses points morts.

On notait plus haut que la gauche s'intéresse d'abord aux questions de moralité collective et la droite non. Mais ce sont des tendances générales. Des exceptions (à gauche et à droite) il y en a. Il est sûr que l'on peut trouver des féministes contre l'avortement par exemple et il est également sûr qu'il existe des capitalistes évangéliques qui ont une conscience sociale. Ces capitalistes ne mettent probablement pas cette conscience sociale en pratique comme le ferait une personne de la gauche mais est-ce si tragique? L'important c'est qu'ils sont capables d'avoir un cœur pour voir le pauvre type battu sur le bord de la route et ne pas passer tout droit...

De manière traditionnelle, les évangéliques (en Amérique du nord surtout) se sont identifiée à la droite (ça aurait pu être la gauche aussi à une certaine époque) et aujourd'hui pour intéresser les évangéliques à des causes sociales il faut des prouesses pour faire les sortir de leurs ghettos. Faut admettre que le ghetto est sécurisant. Sous l'influence des restes de pensée néo-platonicienne, on se tient dans nos forteresses en attendant Son retour et en se préoccupant le moins possible des réalités sociales qui nous entourent. Nous, nous sommes spirituels après tout...

La première moitié du XXe siècle a été celle des grands idéaux politiques. Le marxisme et le socialisme y ont atteint leur apogée. Le point tournant a été les années soixante, époque où les jeunes descendent dans les rues. Ils sont politisés, idéalistes, engagés. Mais par la suite c'est les années soixante-dix, comme on le dit dans les milieux anglophones, la Me generation, la génération du moi. Les grands idéaux collectifs sont morts, on s'occupe de moi. Si on est honnête, il faut admettre que les évangéliques ont suivi ce train (toujours avec quelque retard évidemment). Nous aussi on s'est largement réfugié dans une théologie du moi, une théologie qui s'occupe de mes émotions, mes blessures psychologiques, mon épanouissement, etc. Une théologie qui vante ce que Jésus peut faire pour moi.

On peut remarquer une tendance assez générale, plus on va à l'extrême sur le plan politique (que ce soit à droit ou à gauche), plus l'influence de la vision du monde judéo-chrétienne tends à disparaître. Au XXe siècle cela s'accompagnait en général d'une plus grande influence du matérialisme (variantes gauches ou droites). En Occident actuellement il est probable que tous les observateurs peuvent s'entendre qu'à Droite autant qu'à Gauche l'influence de la vision du monde judéo-chrétienne est au mieux superficielle et reste au niveau de la rhétorique pour acquérir des votes. Il me semble que souvent c'est entre les extrêmes, sur le plan politique, qu'il y a de l'espoir et où toutes les considérations reçoivent l'attention qu'elles méritent. Quelques remarques par l'anthropologue K. O. L. Burridge nous serons utiles ici touchant l'interaction entre christianisme et la politique (1979: 55)

Il est donc sain de garder, à tout moment, une distance critique, Il ne faut donc jamais trop s'identifier à une position ou institution politique (que ce soit de la gauche ou de la droite). De toute manière, il y a fort à parier que les concepts de droite et de gauche risquent de devenir moins en moins utiles pour comprendre les réalités politiques de l'avenir. On ne peut rester indéfiniment au XIXe siècle.

Sans doute on peut discerner dans un grand nombre de mouvements politiques un désire plus ou moins avoué de retourner à l'Eden, là où l'harmonie et la justice a régné. On cherche à établir une intégration parfaite de nos croyances intimes et la réalité sociale. Les croisades et les grands empires chrétiens du moyen âge en témoignent aussi. L'histoire du christianisme nous montre que ces efforts ont été trop souvent des échecs. Et plus le projet était grandiose, plus l'échec était scandaleux. Suite à la Réforme, les Protestants en général, ont pris leurs distances à l'égard de l'État et les grands projets intégristes chrétiens. Les intégristes musulmans semblent vouloir à tout prix répéter les mêmes erreurs que les chrétiens du moyen âge. Dans les églises issues de la Réforme, la liberté de choix de l'individu, d'abord sur le plan religieux[2], ensuite sur le plan politique est primordiale. Mais dans l'Islam, ce concept n'a jamais eu beaucoup d'importance sur le plan religieux d'abord et ne peut donc en avoir sur le plan politique. Pour le chrétien, il est essentiel de respecter la liberté de l'autre, même celle d'être dans l'erreur. De ce fait il en suit que la politique est toujours l'art du compromis, où il faut naviguer entre le respect de l'autre et le désire du chrétien d'intégrer la réalité sociale et les croyances intimes (moralité, justice sociale, etc.).

Mais il faut considérer que l'évangélique peut s'impliquer dans l'arène de la vie publique mais il doit rechercher avant tout être fidèle à son Seigneur. Pour un chrétien qui affectionne les causes de la droite cela peut vouloir dire quitter les rangs sur des questions de justice sociale ou d'attitudes à l'égard du matérialisme et la consommation. À la droite, il arrive parfois que l'on fasse preuve de paranoïa dès que le mot partage soit avancé comme solution à un problème social. Et pour le chrétien qui affectionne les causes à gauche cela peut vouloir dire quitter les rangs sur des questions de moralité publique, avortement, euthanasie, etc. Il faut d’abord savoir où est notre allégeance première. Et lorsque l'un comme l'autre est aveuglé, on a besoin les uns et les autres:

Il faut donc pratiquer l'humilité sur le plan politique aussi. Admettre que notre partie n'a pas toujours, et en toutes circonstances, les bonnes réponses. Cela implique aussi que l'adversaire politique peut avoir une perception juste à l'occasion. Évitons un snobisme politique où les autres sont exclus. "Peut-il venir de Nazareth [ou de la Droite, ou la Gauche?] quelque chose de bon?"

Parfois on est peut-être tenté de donner raison à ceux qui ont une perception très cynique de ce que peut apporter en Occident actuellement un politicien qui s'identifie aux valeurs dites évangéliques. En général, ça sent trop souvent l'opportunisme. Des candidats aux élections annoncent de belles intentions évangéliques, mais lorsqu'on accède au pouvoir rien ne se matérialise, "Business as usual". Il faut dire que ça peut être tout aussi vrai du côté gauche de l'horizon politique... Les évangéliques ont tendance à chercher un messie qui règlerait tous ces problèmes épineux (avortement, immoralité, homosexualité, etc. etc.) et qui ne les obligeraient pas à sortir du confort de leur ghetto (le moins possible disons). Faire mobiliser les évangéliques de manière très concrète pour une cause sociale (gauche ou droite)...? Bonne chance! Alors on préfère attendre un superhéros qui viendra tout régler afin que nous puissions rester en sûreté entre les quatre murs de nos églises, sinon à la maison en regardant la télé. Mais les superhéros ne courent pas les rues dans la vraie vie. Je pense qu'il est impossible de régler ou aborder ces grandes questions par une seule personne (politicien ou pas). Il ne faut pas rêver en couleur. Il faut donc prendre les prises de position par les politiciens chrétiens qui semblent favoriser des valeurs morales conservatrices avec beaucoup de réserve malgré tout leur bonne volonté.

Mais d'un autre côté on peut penser encore à Samuel Wilberforce qui s'est battu toute sa vie contre l'esclavagisme et qui, juste avant sa mort, a vu l'esclavage devenir illégal en Angleterre. Ou encore Lincoln, etc. Je divague entre l'espoir et le cynisme, entre le confort et l'indifférence... Difficile de trancher... Que Dieu nous soit en aide!


Bibliographie



- (1993) La Bible. [édition 1910 de la Bible Louis Segond] Online Bible (version Mac) Oakhurst NJ

BURRIDGE, Kenelm O. L. (1979) Someone, No one: An Essay on Individuality. Princeton U. Press Princeton NJ 270 p.

SAYOUS, Pierre André (1881/1970) Études littéraires sur les écrivains français de la Réformation. (2 t. en 1 v.) Slatkine Genève


Notes

[1] - Parti qui a porté le nom "Cooperative Commonwealth Federation" (ou CCF) initialement.

[2] - Et les musulmans en Occident profitent évidemment de cette liberté pour pratiquer et propager leurs croyances. Mais l'inverse n'est certainement pas vrai dans le cas des millions de chrétiens ou de juifs en pays où l'influence islamique est forte et où le droit de propager sa religion est généralement inexistant et souvent la liberté de pratiquer sa religion est attaquée.