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CHAPITRE 3 :
L'enseignement par le traitemement de l'input






L'approche pédagogique de VanPatten (1992, 1996, 2002, 2004), appelée l'enseignement par le traitement de l'input (ETI), est intéressante à plusieurs égards pour notre recherche. En premier lieu, c'est une approche qui conçoit la pratique de classe de façon tout à fait originale et qui peut être considérée comme une option viable dans un programme d'enseignement en L2. De plus, l'une des principales questions soulevées par les recherches empiriques réalisées sur l'ETI est le rôle respectif de la pratique de compréhension et de la pratique de production en classe de L2. Nous pourrons donc approfondir le thème que nous avons amorcé dans le chapitre précédent. Mais avant de commencer avec l'un ou l'autre de ces sujets, expliquons ce en quoi consiste l'ETI.

Selon VanPatten (1992), l'acquisition d'une L2 peut être conceptualisée comme une succession de trois séries de processus cognitifs (voir aussi : Ellis, 2001; Skehan, 1998) telle qu'illustrée dans la figure 1. La première série de processus implique la transformation de l'input en intake. La deuxième série implique la restructuration (McLaughlin, 1987) du système interne en développement et la troisième série se réfère aux mécanismes en relation avec la production, tels que le monitorat, l'accès et le contrôle (Schmidt, 1992). L'approche de VanPatten interviendrait dans la première série de processus cognitifs, c'est-à-dire lors de la transformation de l'input en intake. L'input étant défini comme tout contact de l'apprenant avec la langue cible et l'intake comme une partie de l'input qui devient disponible pour le système en développement. Nous constatons tout de suite l'importance que donne l'ETI à la compréhension par rapport à la production en acquisition d'une L2. L'hypothèse formulée par l'ETI est que c'est à cette première étape, et non à la deuxième ni à la troisième, qu'il serait possible pour un enseignant d'avoir un impact sur le système interne en développement de l'apprenant. Donc en ETI, l'accent est mis sur des activités réalisées à partir de l'input, et comme dans toutes les approches où l'on préconise une attention sur la forme, on ne croit pas que l'input compréhensif tel que préconisé par Krashen (1981, 1982) soit suffisant pour le développement de la complexité et de la précision d'une L2. L'enseignant doit intervenir pour attirer l'attention des apprenants sur les formes cibles et cette intervention se fait en tenant compte des stratégies et des mécanismes que les apprenants utilisent pour transformer l'input en intake.


(I) (II) (III)
Input - > Intake-> Système en développement -> Output

Figure 1 : Les processus en acquisition d'une L2.


Donnons l'exemple des premières études de VanPatten et Cadierno (1993a, 1993b) pour que ceci devienne plus clair. Un des principes du traitement de l'input mis de l'avant en ETI est qu'un apprenant de niveau débutant ou intermédiaire aura tendance à considérer le substantif qui se situe avant le verbe comme le sujet du verbe et le substantif qui se situe après le verbe comme l'objet du verbe. Pour un apprenant anglophone par exemple dont la langue maternelle est rigide au niveau de l'ordre SVO, il lui sera difficile de bien interpréter des phrases en espagnol dans lesquelles cet ordre peut varier considérablement. Sachant cela, l'enseignant peut intervenir au niveau du traitement de l'input. À l'aide d'un enseignement explicite pour faire prendre conscience aux apprenants de cette mauvaise stratégie et à l'aide d'exercices de compréhension appropriés, la stratégie de traitement de l'input de l'apprenant est modifiée et une connexion entre la forme et le sens est établie dans son esprit favorisant ainsi un intake qui sera susceptible de changer le système en développement. Sans cette modification du traitement de l'input, l'apprenant aurait eu beaucoup plus de difficulté à faire une connexion entre de la forme et le sens. En ETI, on considère qu'il est très important pour l'enseignant de toujours créer un lien entre la forme linguistique cible et sa signification dans les activités planifiées.


Les trois principales composantes de la méthodologie l'ETI

Les trois composantes principales de la méthodologie de l'ETI sont les suivantes (VanPatten, 2002) :

  1. Les apprenants reçoivent des informations au sujet d'une forme linguistique.
  2. Les apprenants sont informés des stratégies de traitement de l'input qui peuvent affecter négativement leur compréhension.
  3. Les apprenants sont emmenés à traiter les formes durant des activités utilisant un input structuré, c'est-à-dire un input qui est manipulé de façon à ce que les apprenants deviennent dépendants de la forme pour saisir le sens.

VanPatten admet que la première composante ressemble aux techniques qu'emploient les enseignants dans les approches plus traditionnelles, alors que les deux autres n'appartiennent qu'à son approche. La première composante correspond à un enseignement explicite déductif de la grammaire et la deuxième aussi, mais avec un contenu propre à L'ETI. Il remarque que les activités de la troisième composante distinguent l'ETI des autres approches centrées sur la forme. Dans les activités qu'ils proposent, les apprenants traitent la structure cible, mais ils ne doivent pas la produire contrairement aux approches plus traditionnelles qui sont souvent composées d'une étape d'enseignement explicite suivit d'activités de production contrôlées et libres.

Parmi les activités de compréhension proposées par l'ETI, on en distingue deux types : les activités référentielles et les activités affectives. Les activités référentielles sont des questions où les apprenants répondent par oui ou par non et où ils doivent se concentrer sur la connexion entre la forme et le sens. Avec les réponses vraies ou fausses, l'enseignant peut vérifier la compréhension du concept enseigné et donner une rétroaction aux apprenants. D'autre part, les activités affectives ne sont pas des réponses vraies ou fausses, elles consistent plutôt en l'expression des opinions ou d'autres réponses affectives chez les étudiants au sujet des informations qui se trouvent dans l'input.

Les lignes directrices de L'ETI

VanPatten (1993) propose une série de lignes directrices pour qu'un enseignement soit vraiment un ETI. Ces lignes directrices sont :

  1. Enseigner une chose à la fois.
  2. Toujours garder la perspective du sens.
  3. Les apprenants doivent toujours faire quelque chose avec l'input.
  4. Utiliser de l'input oral et écrit.
  5. Utiliser certaines phrases dans un discours.
  6. Garder le mécanisme psycholinguistique en tête.


Les principes régissant le traitement de l'input selon l'ETI

D'autre part, les principes répertoriés par VanPatten (1996) régissant le traitement de l'input sont les suivants[2] :

P1. Les apprenants traitent l'input pour le sens avant de le traiter les formes.

P1(a). Les apprenants traitent les mots qui portent du sens avant n'importe quoi d'autres dans l'input.

P1(b). Les apprenants préfèrent traiter des items lexicaux que des items grammaticaux pour la même information sémantique.

P1(c). Les apprenants préfèrent traiter de la morphologie qui a du sens que de la morphologie qui en a moins.

P2. Pour que les apprenants soient capables de traiter des formes qui ne sont pas porteuses de sens, ils doivent être capables de traiter les contenus communicatifs à peu de coût d'attention.

P3. Les apprenants possèdent une stratégie par défaut qui assigne le rôle d'agent (ou sujet) au premier nom qu'il rencontre dans un énoncé.

P3(a). La stratégie du premier nom peut être contrecarré par la sémantique lexicale ou la probabilité des événements.

P3(b). Les apprenants adopteront d'autres stratégies de traitement pour la désignation du rôle grammatical seulement après que leur système en développement ait incorporé d'autres indices (marqueurs de cas, intonation, etc.).

P4. Les apprenants traitent les éléments dans la position initiale d'un énoncé en premier.

P4(a). Les apprenants traitent les éléments dans la position finale d'un énoncé avant ceux de la position du milieu.


L'originalité de l'ETI

Nous disions au début de ce chapitre que l'approche de VanPatten était une option originale pour un programme d'enseignement des L2. Il en est ainsi parce que la pratique de classe qui y est proposée permet aux apprenants de porter leur attention sur la forme et le sens des énoncés en même temps, et il n'y a pas beaucoup de techniques qui permettent cela. En matière de syllabus en enseignement des L2, les tenants de l'attention sur la forme se posent la question si un programme d'enseignement devrait être séquentiel ou intégré, séquentiel en ce sens qu'il est composé de successions d'activités centrées sur la forme et d'activités centrées sur le sens, et intégré en ce sens que l'attention des apprenants n'est jamais exclusivement sur la forme ou sur le sens, mais sur les deux simultanément. “ L'attention à la forme et au sens intégrée tout le temps, avec ou sans enseignement explicite ” (Dougthy & Williams, 1998b). Il semblerait que la meilleure option pour les tenants de l'attention sur la forme soit le programme intégré (Long, 1991) et la proposition de VanPatten remplit bien cette condition.

Il y a peu de techniques proposées en didactique des langues qui ont la caractéristique d'attirer l'attention des apprenants sur la forme tout en ne déviant pas leur attention du sens. À ce sujet, Nassaji (2002) affirme : “ Cependant, même si les recherches suggèrent qu'il est utile d'inclure une sorte d'activité attirant l'attention sur la forme dans le contexte communicatif, cette suggestion n'est que de peu d'utilité si les enseignants ne savent pas comment s'y prendre pour y arriver ” (p.243). Il existe quand même quelques propositions qui remplissent cette condition, mentionnons par exemple trois techniques de nature implicite : le déluge de l'input, la mise en évidence de l'input et la répétition corrigée (recast). Le déluge de l'input est un input qui a été enrichi par beaucoup d'exemples de la structure cible sans que cela soit mentionné aux apprenants. La mise en évidence de l'input vise à attirer l'attention des apprenants sur les formes dans un document écrit par diverses manipulations typographiques sans que ceux-ci dévient leur attention du sens. La répétition corrigée est une intervention de l'enseignant qui consiste à répéter correctement un énoncé de l'apprenant contenant une erreur. Les recherches sur ces techniques offrent des résultats mixtes sur leur utilité dans l'apprentissage. Alanen (1995) et Jourdenais, Ota, Stauffer, Boyson, et Doughty (1995) offrent les preuves que les formes qui sont mises en évidence dans l'input sont plus susceptibles d'être remarquées et utilisées subséquemment. Cependant, White (1998) n'a trouvé aucune différence significative entre les performances d'apprenants avec de la mise en évidence de l'input et sans mise en évidence. Doughty et Varela (1998) et Long, Inagaki et Ortega (1998) offrent des preuves de l'utilité de la répétition corrigée. Le déluge de l'input semble toutefois être moins efficace puisque Trahey et White (1993) ont trouvé que l'exposition à la langue offerte par cette technique n'a pas réussi à faire découvrir la non-grammaticalité de l'adverbe placé entre le verbe et l'objet direct en anglais.

La pratique de classe proposée dans l'approche de VanPatten est, comme les techniques mentionnées, un moyen d'unir le sens et la forme, mais ce qui ajoute à son originalité c'est qu'elle n'est pas une technique d'enseignement implicite mais une technique explicite, et il a été démontré dans plusieurs études que les gains des techniques d'enseignement explicite étaient supérieurs aux gains des techniques implicites (Alanen, 1995; Jourdenais & al., 1995; Robinson, 1996b, 1997a). Nous abordons ce thème plus en détails au chapitre 5.


Où se classifie l'ETI?

Il est difficile de situer l'ETI dans la classification mentionnée en introduction. Norris et Ortega (2001), et Doughty (2003) le considèrent comme de l'attention sur la forme mais Ellis (2001) comme de l'attention sur les formes. Ce dernier affirme que, même si tout le long de la pratique les exercices sont centrées sur le sens, l'ETI vise en premier lieu l'acquisition d'une structure cible précise et présélectionnée. Les apprenants connaissent la structure cible puisqu'elle leur a été présentée avant la série d'exercices et leur attention est dirigée autant sur la forme que sur le sens des énoncés, et ceci va à l'encontre du premier critère de l'attention sur la forme, telle que conceptualisée par Dougty et Williams (1998b), qui stipule que l'engagement premier des apprenants est envers le sens. L'environnement linguistique de l'ETI est loin de ressembler à un environnement naturel puisque l'input y est hautement structuré. Et même si on enlevait la partie d'enseignement explicite de l'ETI, comme il a été expérimenté dans VanPatten et Oikkenon (1996), il faudrait quand même considérer cette technique comme explicite. La pratique de classe en ETI ressemble en fait à un enseignement explicite inductif où les apprenants disposeraient de tous les éléments nécessaires pour découvrir la règle qui sous-entend le fonctionnement d'une structure linguistique (DeKeyser, Salaberry, Robinson & Harrington, 2002).

Les études empiriques sur l'ETI

Quoique cette approche soit considérée comme originale, est-ce qu'elle constitue une option viable dans un programme d'enseignement des L2 ? Les recherches effectuées sur l'ETI jusqu'à maintenant nous offrent des résultats mixtes, mais selon VanPatten (2002), il n'en est pas ainsi. Selon lui, les conclusions de VanPatten et Cadierno (1993) tiennent la route : l'enseignement par le traitement de l'input est supérieur à l'enseignement traditionnel et l'approche est généralisable à d'autres structures grammaticales. Un enjeu important sur cette question dans les recherches sur l'ETI se situe au niveau de la légitimité de l'approche, on se demande si la méthodologie utilisée est vraiment conforme aux critères formulés par VanPatten. Dans Farley (2001) et VanPatten (2001), les études qui présentent des résultats contraires au résultat de l'étude initiale de VanPatten et Cadierno (1993a) sont présentées comme de mauvaises répliques de l'étude originale. Une grande partie des discussions dans les recherches au sujet de cette approche est consacrée à savoir si telle ou telle étude constitue un véritable ETI (exemple : Collentine, 2002; Farley 2002). L'élément essentiel d'un ETI, c'est-à-dire le fait qu'il provoque une transformation de la façon dont l'apprenant traite l'information qu'il reçoit dans l'input (VanPatten, 2002), semble difficile à mettre en place.

La première impression que l'on tire de ce débat est qu'il semble difficile de réaliser un ETI qui rencontre les normes de ses promoteurs. Selon VanPatten (2002), les études qui sont de bonnes répliques de VanPatten et Cadierno (1993) sont celles de Benati (2001), Cadierno (1995), Cheng (1995), Sanz et Morgan-Short (2001), VanPatten et Oikennon (1996), et leurs résultats concordent tous avec les résultats de l'étude initiale. Les quatre études qu'il ne considère pas comme de bonnes répliques (Allen, 2000; Collentine, 1998; DeKeyser & Solkaski, 1996; Salaberry, 1997) présentent des résultats différents. La conclusion de ces quatre études est que l'ETI n'est pas nécessairement supérieur à l'enseignement traditionnel par rapport aux effets du traitement, mais que les effets de l'ETI sont généralisables à d'autres structures grammaticales (VanPatten, 2002). Il serait superflu de tenter d'élucider les controverses méthodologiques au sujet de l'ETI car nous ne croyons pas que nous puissions arriver à des conclusions essentielles pour notre travail. Nous nous contentons de dire que même si on arrivait à la conclusion que l'ETI n'est pas supérieur à l'enseignement traditionnel, elle constituerait quand même une pratique à inclure dans un programme d'enseignement des L2. Du moins, il serait intéressant pour les professeurs d'en faire la preuve par eux-mêmes.

Toutefois, les controverses méthodologiques dans les études empiriques au sujet de l'ETI laissent croire qu'il s'agit d'une approche assez difficile à mettre en place. L'élément principal qui doit être présent dans cette approche est la modification d'une stratégie affectant négativement la compréhension des apprenants. Pour qu'une telle intervention de la part du professeur soit possible, il est nécessaire que la structure cible enseignée contrevienne à une stratégie déjà développée par les apprenants et ceci n'est certainement pas le cas de la totalité des structures d'une langue cible. Il est même plutôt difficile de trouver ce genre de relation entre une stratégie à modifier et une structure cible à apprendre. C'est sûrement pour cette raison que plusieurs des études réalisées par VanPatten et ses collaborateurs ne concernent que la stratégie des apprenants anglophones qui assigne le rôle d'agent au premier nom et le rôle du pronom personnel complément en espagnol.

Si, par exemple, on veut enseigner les articles partitifs à un groupe de débutants anglophones, est-ce qu'il y a un principe régissant le traitement de l'input que l'on devrait modifier ? Il est possible que les apprenants portent peu d'attention à cet article car il est porteur de peu de sens (principe #1), donc leur attention sera surtout porter sur le substantif et sur le verbe, ce qui sera suffisant pour comprendre le sens général. Le principe régissant la cognition ne provoque pas une incompréhension totale, mais tout au plus une compréhension incomplète. La structure cible n'étant pas saillante, il sera nécessaire de diriger l'attention des apprenants sur cet élément et d'en expliquer la différence au niveau du sens en comparaison avec les autres types d'articles. Mais cette intervention n'est-elle pas semblable à toutes les interventions pédagogiques ?

Nous tentons d'expliquer le fait qu'il n'est pas facile de trouver une structure cible qui contrevienne de façon continue à un principe régissant le traitement de l'input comme c'est le cas du pronom personnel complément en espagnol et du rôle d'agent que l'on donne au premier pronom. Ce genre de cas est rare et c'est ce qui nous laisse croire que la mise ne place de l'ETI n'est pas

chose facile. De plus, pour qu'il soit possible d'utiliser cette approche dans une salle de classe, il est nécessaire que les apprenants aient tous développé les mêmes stratégies conduisant à des erreurs, donc idéalement qu'ils soient de la même langue maternelle. Il serait impossible d'utiliser adéquatement l'ETI avec un groupe d'apprenants n'ayant pas tous développé les mêmes stratégies.

La pratique de production

Nous arrivons maintenant à la discussion sur quel type de pratique nous devrions privilégier dans nos salles de classe, est-ce la pratique de compréhension ou la pratique de production? Ces dernières années, les rôles respectifs de l'input et de l'output en acquisition des L2 ont été considérablement débattus en didactique des langues, et à cause de l'accent mis sur l'importance de l'input compréhensif par Krashen (1981, 1982) et de l'input structuré par VanPatten (1990), certains chercheurs ont voulu paradoxalement souligner l'importance de l'output.

Swain et Lapkin (1995) ont réalisé une étude dont l'objectif était de prouver que l'output jouait un rôle dans l'acquisition d'une L2. Elles partaient avec l'idée qu'en produisant la langue cible, un apprenant pouvait éventuellement remarquer un problème linguistique même s'il n'y a pas de rétroaction de la part du professeur. En prenant conscience d'un problème, l'apprenant tentera de modifier son output et commencera un processus de réflexion qui pourrait éventuellement devenir un apprentissage. En d'autres termes, les auteurs croient que, non seulement la compréhension, mais aussi la production linguistique peut provoquer une saisie de l'écart chez l'apprenant.

Pour ces auteurs, il existe des différences fondamentales entre les processus cognitifs de compréhension et les processus cognitifs de production. En compréhension, les apprenants se baseront surtout sur le lexique pour trouver du sens aux énoncés tandis qu'en production, ils seront poussés à aborder une réflexion sur la syntaxe afin de pouvoir formuler des phrases. Swain (1985, 1993) suggère donc que l'une des fonctions de l'output en acquisition d'une L2 serait de forcer l'apprenant de passer des processus lexicaux prévalant en compréhension aux processus syntaxiques nécessaires à la production.

Dans cette étude, Swain et Lapkin (1995) ont voulu observer les processus mentaux dans lesquels les apprenants s'engagent entre un premier output et sa modification, et cela à l'aide du protocole de pensée à haute voix. Elles se sont posé les questions suivantes : quand les jeunes apprenants produisent une L2, est-ce qu'ils deviennent conscients des lacunes dans leurs connaissances linguistiques? Si effectivement les jeunes apprenants deviennent conscients de leurs lacunes lorsqu'ils essaient de produire la L2, qu'est-ce qu'ils font alors ? Dans leur tentative de résoudre leurs problèmes linguistiques, est-ce que ces apprenants s'engagent parfois dans des analyses grammaticales et syntaxiques ? Les conclusions auxquels les chercheuses sont arrivées à partir de l'analyse des résultats sont très révélatrices. Les adolescents deviennent conscients des lacunes dans leurs connaissances linguistiques lorsqu'ils essaient de produire en L2 et lorsqu'ils ont de la difficulté à produire la langue cible, ils s'engagent dans un processus de réflexion qui pourrait jouer un rôle dans l'apprentissage de la L2.

Les processus mentaux qu'elles ont observés étaient similaires aux processus considérés comme des processus liés à l'apprentissage d'une L2. Les apprenants étendaient leurs connaissances de la L1 à la L2, leurs connaissances de la L2 à de nouvelles connaissances de la L2 et formulaient des hypothèses sur les formes et les fonctions linguistiques. Les résultats ont aussi démontré que les apprenants plus compétents faisaient plus de réflexions grammaticales que les apprenants moins compétents. Les auteurs se sont demandés si cela n'était pas une évidence des meilleures habiletés analytiques chez les apprenants forts, ou plutôt de leur capacité à s'appuyer davantage sur les règles de grammaire que sur leurs impressions. Ces découvertes sont en accord avec d'autres études qui affirment que les connaissances explicites des règles sont directement proportionnelles avec une meilleure performance langagière (Green et Hecht, 1992; Hulstijn et Hulstijn, 1984; Thomas, 1988). En face des ces résultats, deux explications sont possibles: les connaissances explicites des règles facilitent d'une certaine manière le développement des connaissances implicites, ou encore,  les apprenants plus avancés sont capables de transformer les connaissances implicites acquises en règles verbalisées explicitement tandis que les moins forts n'y parviennent pas.

Dans une étude pilote postérieure, Swain (1998) a voulu aller plus loin dans ses recherches en tentant de démontrer que les processus cognitifs stimulés par l'output jouaient un rôle de facilitation dans l'apprentissage d'une L2. Dans ses bases théoriques, Swain (1995) distingue trois rôles que peut avoir l'output dans l'acquisition d'une L2. D'abord, l'output peut aider l'apprenant à faire des saisies de l'écart comme nous l'avons mentionné précédemment. De même, l'output permet aux apprenants de faire des hypothèses et des tests en formulant leurs énoncés, hypothèses et tests qui peuvent recevoir par la suite une rétroaction des paires ou du professeur. L'output peut également être utilisé comme métalangage, l'apprenant utilise la langue cible pour faire une réflexion personnelle sur cette même langue.

C'est cette dernière fonction de l'output que Swain (1998) a voulu analyser dans cette étude. Le traitement pédagogique consistait en un enseignement grammatical explicite donné de manière inductive. La technique d'enseignement utilisée s'appelle le dictogloss qui est une activité communicative dont le sujet de conversation porte sur la langue. Elle ressemble énormément à la tâche de conscience accrue proposée par Fotos et Ellis (1991; Fotos, 1994). Les participants devaient reconstituer un texte ensemble et résoudre les problèmes linguistiques en petits groupes. Autant le groupe expérimental que le groupes contrôle ont réalisé le dictogloss, mais la différence entre les deux groupes se situait au niveau des consignes. Avant d'exécuter l'activité, le groupe expérimental, d'une part, écoutait, en guise d'exemple, une conversation entre deux enseignants comprenant une terminologie métalinguistique sur la façon de réaliser la tâche; d'autre part, le groupe contrôle écoutait aussi cette conversation entre les deux enseignants, mais celle-ci ne comprenait pas de terminologie métalinguistique. On a observé que le nombre moyen de segments de discours métalinguistiques (avec ou sans terminologie métalinguistique) produit par les équipes du groupe expérimental était de 14.8 et tandis que celui produit par les équipes du groupe contrôle était de 5.8. La démonstration du métalangage comprenant de la terminologie métalinguistique de la part des expérimentateurs a influencé positivement les élèves du groupe expérimental à porter plus d'attention sur l'usage de leur L2, et cela sans qu'ils utilisent plus de terminologie métalinguistique que le groupe contrôle. De plus, lorsque ce que les apprenants discutaient sur la langue s'avérait juste, ils avaient une très forte tendance à performer correctement dans la question correspondante dans le test une semaine plus tard. De la même manière, lorsque leur discours s'avérait erroné, ils avaient une très forte tendance à performer incorrectement dans la question correspondante dans le test une semaine plus tard.

L'auteur conclut que les segments du discours en relation avec la langue, durant lesquels les élèves réfléchissent consciemment sur la langue qu'ils produisent, peuvent être une source d'acquisition de la L2. Donc, augmenter la fréquence de ces segments dans un contexte pédagogique à l'aide du modelage et de la pratique peut être utile à l'acquisition d'une L2. En plus d'apporter des preuves sur le rôle de l'output en acquisition des L2, cette étude de Swain (1998) offre une preuve sur le rôle facilitant de l'accroissement de la conscience métalinguistique des apprenants sur l'acquisition des L2. Et si des adolescents ont pu interagir de cette façon autour de sujets métalinguistiques, à plus forte raison ce genre d'activités pourrait être bénéfique pour des adultes.

Pour conclure cette section du chapître, il convient de mentionner une autre étude sur la question du rôle de l'output en acquisition des L2. Dans Izumi (2002), des apprenants en anglais L2 ont été exposés à différents traitements pour apprendre la construction des propositions relatives. Certains groupes ont été exposés à un input non mis en évidence et sans activités de production, d'autres à un input mis en évidence et sans activités de production, finalement d'autres groupes ont été exposés aux deux traitements précédents plus des tâches demandant la production des propositions relatives. Ensuite les apprenants ont été testés avec des tâches d'interprétation, de jugement de grammaticalité, de combinaison de phrases et de finalisation de phrases. Les résultats ont été concluants, les groupes input et output ont obtenu de meilleurs gains que les groupes input seulement. Izumi (2002) conclut : “ ...dans l'exposition d'un input significatif immédiatement après leur expérience de production, le sens rehaussé de la problématique guiderait les apprenants à porter plus d'attention à ce qu'ils avaient identifié comme l'aspect problématique de leur interlangue. Bref, pousser l'output peut induire les apprenants à traiter l'input avec efficacité pour un développement plus grand de l'interlangue ” (p.566).

La pratique de compréhension

VanPatten (2002) se défend d'avoir fait de la controverse entre l'efficacité de la pratique de compréhension et de production le centre des recherches sur l'ETI. Il affirme que les comparaisons entre les traitements pédagogiques des études empiriques sur l'ETI ne se situent pas à ce niveau, mais entre l'ETI et l'enseignement traditionnel. Personne ne peut mettre en question cela, mais on ne peut non plus nier que la principale différence entre l'ETI et l'enseignement traditionnel tel que conceptualisé par VanPatten et ses associés est précisément la pratique de compréhension et la pratique de production. Il y a certainement d'autres éléments distinctifs, mais cet aspect est particulièrement fondamental. Qu'est-ce que l'on peut tirer des études sur le traitement de l'input et des études qui prétendent comparer les deux types de pratique ? Est-ce qu'il y a vraiment un avantage pédagogique à favoriser les pratiques de classe qui mettent l'emphase sur la compréhension comme le prétendent VanPatten et Ellis ? En s'appuyant sur les résultats de ses études et de celles de ses associés, VanPatten avance que l'ETI altère la façon dont les apprenants traitent l'input et que ceci affecte à son tour le système en développement de l'apprenant, et que ceci n'est pas le cas avec l'enseignement traditionnel. “ La présentation traditionnelle de la grammaire et la pratique n'affectent pas la façon dont les apprenants traitent l'input et par conséquent ne provoque pas d'intake pour le système en développement. Au lieu de ça, l'enseignement traditionnel résulte en un système de connaissances différents ” (VanPatten et Cadierno, 1993b, p.238).

Même si VanPatten affirme que c'est grâce à la pratique de compréhension que se développe le système de l'apprenant, il ne rejette pas pour autant la pratique de production, mais il assigne aux deux types de pratique des rôles très différents. Il dit que l'enseignement de la grammaire devrait d'abord avoir pour but de changer le système en développement et qu'après le programme d'enseignement devrait pourvoir des occasions de développer les habiletés de production tels que la précision et l'aisance. Il ne nie pas l'utilité de l'output, mais il est catégorique en disant que seul l'input peut causer un changement dans le système en développement. Pour lui, seul l'input est absolument nécessaire à l'apprentissage, mais il admet que la combinaison de l'input et de l'output peut donner de meilleurs résultats (VanPatten, 2004).

Deux études empiriques

Nous allons traiter maintenant de deux études qui ont été réalisées spécifiquement pour comparer l'enseignement basé sur la pratique de la compréhension et l'enseignement basé sur la pratique de la production. Nous nous référons à DeKeyser et Solkaski (1996) et à Salaberry (1997). Ces chercheurs ont comparé des groupes qui ont reçu les traitements mentionnés avec un groupe contrôle. Ils ont testé les gains obtenus avec des tests de compréhension et des tests de production. DeKeyser et Solkaski (1996) ont étudié l'acquisition des pronoms complément d'objet, l'ordre des mots et le conditionnel en espagnol et Salaberry (1997) a étudié uniquement les pronoms complément d'objet.

Les résultats de DeKeyser et Solkaski (1996) sont complexes. Pour les pronoms complément d'objet, conformément à leurs hypothèses, ils ont trouvé que le groupe de l'input était meilleur dans le test de compréhension et que le groupe de l'output était meilleur dans les tests de production, mais que cette différence s'estompait dans le post-test tardif. Pour le conditionnel, ils ont trouvé un avantage pour le groupe de l'output dans les deux tests, mais que cet avantage disparaissait également dans le post-test tardif. Avec ces résultats, DeKeyser et Sokalski sont arrivés à la conclusion que les habiletés de compréhension et de production s'apprenaient, jusqu'à un certain point, séparément (ce qui est en accord avec la théorie de l'acquisition des habiletés complexes), mais que la constante supériorité des groupes expérimentaux sur le groupe contrôle démontrait un certain degré de transfert entre les deux habiletés. On pourrait argumenter contre cette conclusion que les résultats du post-test tardif (qui est le plus important des deux tests car il montre des acquisitions stables) n'ont pas été concluants; mais les auteurs répondent à cela qu'avec seulement un peu plus de pratique, les résultats de ce post-test auraient été plus stables. D'autre part, VanPatten (2002) conclut que ces résultats suggèrent que les gains faits par le groupe de l'input ont été plus stables que les gains du groupe de l'output.

Les résultats de Salaberry (1997) sont moins complexes. Ils ne démontrent aucune différence entre les deux groupes expérimentaux dans le test de compréhension, dans le test de production et dans le test de production narrative. Le deux groupes expérimentaux ont fait des gains significatifs par rapport au groupe contrôle et sans aucune différence entre eux. Apparemment, cette étude confère à la pratique de la production autant d'effet sur l'acquisition d'une L2 que la pratique de la compréhension.

Conclusion

Pour conclure, nous allons présenter les résultats d'une étude récente sur le sujet traité. Dans cette étude, Erlam (2003) fait en premier lieu une mise au point fondamentale sur le sens de deux concepts. Elle fait une distinction entre l'enseignement par l'input structuré et l'enseignement par le traitement de l'input. D'une part, l'enseignement par l'input structuré consisterait en tous types d'enseignement où les apprenants seraient amenés à travailler sur un input et où leur attention serait attirée sur une structure cible particulière. Les tâches peuvent être orales ou écrites et les apprenants porteraient leur attention sur la forme tout en traitant également le sens. Dans aucun stage de l'enseignement, il serait demandé aux apprenants de produire la structure cible. D'autre part, l'enseignement par le traitement de l'input serait la technique développée par VanPatten et ses collaborateurs dont la caractéristique principale est de provoquer la modification d'une stratégie naturelle et préjudiciable chez l'apprenant (VanPatten, 2002). Cette distinction met de l'ordre dans le débat sur le rôle de l'input et de l'output en acquisition des L2 car, comme VanPatten le mentionne, il ne faut pas confondre ce débat avec le débat entre l'ETI et l'enseignement traditionnel.

Erlam (2003) a donc fait le recensement de toutes les études qui comparaient l'enseignement par l'input structuré et l'enseignement par l'output, et elle a aussi fait sa propre étude. En plus des deux études présentées ci-haut (DeKeyser et Solkaski, 1996; Salaberry, 1997), Erlam en mentionne six autres (Hazzard, 1999; Kim, 2001; Nagata, 1998; Tanaka, 1996, 2001; Toth, 1997). Dans sa revue des écrits, et elle tire la conclusion suivante : “ Il y a des preuves qui suggèrent que l'enseignement par l'input structuré n'est pas supérieur à l'enseignement par l'ouput orienté vers le sens ” (p.565). Dans sa propre étude sur le sujet, elle arrive à des résultats semblables : (1) les deux groupes expérimentaux (input et output) obtiennent de meilleurs résultats que le groupe contrôle, (2) le groupe avec l'enseignement par l'input structuré n'obtient pas de meilleurs résultats dans les tests de compréhension que le groupe de l'enseignement par l'output, (3) le groupe de l'enseignement par l'input structuré n'obtient pas d'aussi bons résultats que le groupe de l'enseignement par l'output dans les tests de production. En conclusion, Erlam affirme que ces résultats démontrent qu'il n'y a pas un plus grand avantage pour l'enseignement par l'input structuré par rapport à l'enseignement par l'output. Elle affirme d'autre part que les gains supérieurs faits en général par le groupe de l'enseignement par l'output seraient peut être dus au fait que dans son étude, on a pris soin d'associer l'enseignement de la production avec du sens.

Finalement, si on tient compte des preuves empiriques sur le sujet, il n'est pas difficile de tirer des conclusions sur quel serait le type de pratique que nous devrions privilégier dans nos salles de classe. La pratique de l'input a traditionnellement été négligée dans les classes de L2, mais maintenant nous sommes sensibilisés à son rôle en acquisition des L2. La didactique des L2 doit absolument en tenir compte et orienter sa pratique en ce sens, mais elle ne peut pas néanmoins écarter la pratique de l'output car il y des preuves empiriques qui établissent l'importance de son rôle. En effet, la pratique de l'output est aussi importante que la pratique de l'input dans l'apprentissage d'une L2.




Note

[2] Il est à noter que dans le livre de VanPatten publié en 1996 on trouve 3 de ces principes. Plus tard, un quatrième principe (P4) a été ajouté et on fait mention de lui dans Collentine (2002), Farley (2001), VanPatten (2002) et Wong (2002).