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Samizdat

Conclusion




Table des matières

Au sujet du travail de recherche qui vient d'être lu je voudrais d'abord émettre quelques éclaircissements visant la présentation des données qui y furent employées. Il se peut, par exemple, que le lecteur attentif ait remarqué un certain 'flottement' au niveau de la terminologie utilisée pour désigner ici le phénomène religieux: religion, système idéologico-religieux, systéme de croyances, etc... A vrai dire ce 'flottement'est intentionnel, puisqu'en premier lieu l'objectif de cette thèse n'a jamais été de proposer un nouveau terme pour le phénomène dit communément: religion. Ce 'flottement' est intentionnel aussi puisqu'à certains égards les contours du phénomène dit religieux me paraissent encore assez flous, mais une chose me paraît plus certaine, c'est l'inaptitude des notions existantes à rendre compte de la complexité de ce phénomène. Pour le moment, ce qui m'apparaît le plus pressant ce n'est pas l'établissement d'un nouveau lexique (hermétique), mais plutôt une poussée de recherche sur les questions qui se dressent devant nous.... et qui sont nombreuses. En voici quelques unes...

Sur un autre ordre d'idée je voudrais noter que, vraisemblablement, aux yeux de l'ethnographe accompli, les analyses apparaissant au chapitre III sembleront très rudimentaires. Elles le sont, mais elles mettent en évidence, à mon avis, l'avantage principal de l'approche proposée ici, c'est-à-dire permettre de déceler et de comprendre certains aspects structuraux (ou systémiques) d'une religion. J'entends par cela que cette approche permet une analyse élargie des phénomènes tels que changements doctrinaux, conversions, syncrétismes, les processus d'acculturation, etc... Encore au sujet du troisième chapitre, il m'apparait pertinent de souligner le fait que les analyses qui y furent executées ont entraîné une réflexion supplémentaire sur le rôle des stratégies dans un système idéologico-religieux. Il se peut fort bien que d'autres analyses de religions réelles révéleront que des agrégats de stratégies, plutôt qu'une stratégie primaire unique, s'avéreront être le point focal d'un bon nombre de systèmes idéologico-religieux. Pour ce qui est d'établir un verdict sur la réussite ou non de 'l'expérience' tentée au chapitre III il m'apparaît difficile de trancher moi-même la question. Peut-être serait-il plus prudent de me fier aux jugements que prononceront d'autres chercheurs (africanistes ou 'polynésistes') liés de plus près à ces données. Quant à moi, ce chapitre a au moins l'intérêt d'apporter quelques éclaircissements (dont certains sont mentionnés ci-dessus) sur les possibilités que présente l'analyse d'un système idéologico-religieux à l'aide de l'approche proposée dans ces pages.

Concernant la position théorique prise dans cette thèse au cours des chap. II et IV on pourrait me faire les objections suivantes: Le raisonnement impliqué dans ces deux chapitres n'est-il pas circulaire étant donné que dans le chap. II on analyse la religion à partir de la science (le concept d'entropie et les conceptions cybernétiques connexes) tandis qu'au chap. IV on analyse la science à partir de la religion? Que faire pour désamorcer ce problème?

A premier abord l'on peut signaler que toute analyse requiert un point de vue théorique, une cosmologie en quelque sorte. L'analyse de données s'avère impossible sans le choix préalable d'une cosmologie. Mon choix s'est porté sur la notion d'entropie et les conceptions cybernétiques connexes parce que pour le moment ces conceptions m'apparaissent offrir le plus de possibilités vis-à-vis les données qui nous concernent ici. Comme tout choix de cadre théorique ce choix est donc arbitraire et inévitable. D'après les résultats obtenus, ce choix me semble satisfaisant et aussi prometteur. Cet essai comporte d'abord un choix de cadre théorique/cosmologie et ensuite son application à l'analyse de toutes les données concernées portant sur les catégories culturelles religion et science. L'analyse de ces catégories à l'aide de concepts provenant de l'un ou de l'autre de ces systèmes ne pose pas de problème en soi étant donné la nécessité de choisir, quelque part, un point de repère, mais les problèmes potentiels peuvent se poser au niveau de la capacité d'explication du cadre théorique proposé. C'est qu'il faut être exigeant. Sur ce point, je devrai me fier à l'avis d'autres. A mon sens le problème de la 'circularité' disparaît si l'on accepte la dissolution de la distinction religion/science... après quoi il ne reste que des choix arbitraires de cadres conceptuels/cosmologies.

Qu'en est-il de l'impact plus large d'études telles que celle-ci? Si on considère par exemple les recherches présentes sur ordinateurs tentant de développer l'intelligence artificielle et leur objectif: imiter l'intelligence et la créativité humaine, il faut d'abord pouvoir établir ce qu'est cette structure et savoir quelles sont ces capacités et caractéristiques. Les résultats proposés ici (aux chap. II et III surtout) permettent, à mon avis, d'éclairer la capacité phénoménale de traitement d'information des systèmes idéologico-religieux réussis concernant les événements dans l'environnement d'individus et de sociétés. Personnellement je suis d'avis qu'il y aurait des liens importants entre la créativité humaine et l'adhésion d'individus à des cosmologies/cadres conceptuels qui donnent cohérence à la vie quotidienne et permettent d'affronter des phénomènes aliénants/dé-structurants.

Au cours des discussions qui ont précédé la production de cette recherche, on m'a posé les questions suivantes: Pourquoi ne pas avoir fait appel à des théologiens ou ministres de culte comme informateurs sur la définition de la religion au lieu de consulter des anthropologues? Pourquoi ne pas avoir fait appel à des scientifiques sur le sujet de la définition de la science au lieu des philosophes de la science?

Pour ce qui est de la première question, l'utilisation d'anthropologues comme informateurs concernant la définition de la religion, ce choix, est dû en grande partie au fait que ceci est une thèse en anthropologie. J'explique. Un des objectifs généraux et ultimes de l'anthropologie c'est de comprendre l'humain dans sa généralité. Qu'est-ce qui est commun à tous les hommes? On aboutit finalement à la bonne vieille "nature humaine". Mais aussi évidemment, notre connaissance du général ne peut s'acquérir que grâce à une connaissance des comportements d'êtres humains réels. Bien que l'interrogation de théologiens ou de ministres de culte au sujet de la définition de la religion aurait pu être d'un intérêt ethnographique général, je n'ai pas d'espoir que cela nous soit d'une utilité quelconque pour l'établissement d'une définition qui puisse s'appliquer en dehors du contexte occidental. L'anthropologie comporte donc deux approches complémentaires, la cueillette de données brutes et empiriques et les généralisations faites à partir de celles-ci sur le bagage commun de l'humain. A mon sens l'interrogation des théologiens sur la définition panculturelle relèverait plutôt de la première approche et non de la deuxième qui est le point de mire ici.

Pour ce qui est du choix des informateurs concernant la définition de la science, le problème est quelque peu différent. Ma préoccupation première était d'éviter la vision simpliste de la "Science" qui fait partie de la mythologie occidentale moderne. C'est pour cette raison que j'ai consulté des philosophes de la science qui ont osé regarder derrière la façade positiviste et nous dire ce qu'ils ont vu. Que l'on n'ait pas consulté ici des chercheurs scientifiques réfère au fait qu'à mon sens, sauf de rares exceptions, la définition de la science que donnerait la grande majorité des chercheurs scientifiques risquerait d'être beaucoup plus populaire (près de celle de l'homme de la rue) qu'on ne le penserait généralement. Bien que je ne puisse fournir de chiffres à ce sujet, à ma connaissance très râres sont les départements de science ou de génie qui donnent des cours sur les présupposés métaphysiques qu'impliquent leur travail. Tout comme l'homme de la rue, un grand nombre de scientifiques envisagent la science d'un point de vue technique: c'est-à-dire les méthodes (expérimentales, comparaisons, etc.) utilisées pour connaître le monde physique qui nous entoure. Tout comme on peut très bien parler une langue, 'naturellement', sans pouvoir expliciter tous les règles grammaticales et de syntaxe qui la soutendent, ainsi la grande majorité des scientifiques qui font de la recherche peuvent très bien être inconscients des présupposés métaphysiques sur lesquels repose leur travail. Les grandes révolutions scientifiques (comme l'avènement de la relativité en physique) ont parfois provoqué des réflexions sur ces présupposés mais en général le travail scientifique 'normal' (à la Kuhn) peut très bien se passer de tels embêtements. Les scientifiques s'intéressent avant tout à produire un savoir pratique, applicable plutôt qu'à questionner les fondements de ce savoir... savoir pourquoi l'on peut affirmer que l'on sait quelque chose sur le monde!

Au cours de la présentation sur la philosophie de la science du chapitre IV nous avons soulevé une question qui constitue le pendant de la distinction religion/science faite en anthropologie des religions; il s'agit de la question du critère de démarcation entre métaphysique et science traitée initialement par Popper. Nous pouvons constater depuis quelques années maintenant qu'en philosophie des sciences du moins cette distinction a été abandonnée et qu'on accepte le rôle important joué par la métaphysique en sciences. J'espère, à l'aide des données présentées ici, qu'en anthropologie des religions nous pourrons aussi accepter la dissolution de la distinction religion/science dans nos définitions du phénomène idéologico-religieux, ce qui nous amènera, à mon avis, à envisager le développement d'une théorie unifiée des systèmes cognitifs/culturels humains.

Il est possible qu'au cours du dernier chapitre de cette thèse j'aie pu donner l'impression de laisser sous-entendre qu'il y avait dans le désir de compléter la science quelque chose 'd'anormal', voire méprisable. Si tel est le cas, je voudrais rectifier cette impression en précisant que le contraire plutôt me paraît vrai, c'est-à-dire que s'il y a une quelconque 'anormalité' elle me paraît caractéristique de la pratique d'une science 'neutre' et 'objective'... et aseptique (et heureusement en voie de disparition), qui tend à priver ou à isoler le scientifique d'une grande partie de la réalité humaine. Quant aux tentatives de compléter la science il est vrai que les essais idéologico-religieux élaborés par des scientifiques donnent des résultats parfois risibles, parfois ennuyants, parfois inquiétants (en termes moraux ou politiques) et parfois tout simplement inadéquats (d'un point de vue logique), mais à mon avis la quête du sens, qu'elle prenne la forme d'une tentative de compléter la science ou un culte du cargo, n'est jamais méprisable en soi. La question du sens se pose de manière aussi percutante pour le scientifique occidental que pour l'Inuit ou l'Aborigène australien. Il importe d'être conscient de ses choix... ou des choix qui ont été faits par d'autres à notre place.