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Samizdat

Faire face aux conséquences d'un avortement.





Isabelle

Un jour, je reçois un courrier de l'église luthérienne locale qui organisait un débat sur l'homosexualité. J'ai pensé tout de suite “  ah non Seigneur, on ne va pas accepter les homosexuels dans ton Église ! ”. Et la réponse est venue instantanément à mes pensées : “ il accepte bien les assassins ”.

Cela, c'était bien pour moi, parce que j'avais avorté il y a pas mal d'années déjà, mais que j'avais conservé encore beaucoup d'amertume à l'égard des autres et de mon mari. Je ne vais pas raconter toute ma vie, car même en étant guérie de ma blessure, je n'aime pas le crier sur les toits et je ne pense pas que mon mari serait ravi si je faisais cela! J'ajoute que tout cela s'est passé en France, ce qui n'est pas forcément transposable.

Un mois après mon mariage, on m'a licenciée de façon abusive. J'étais complètement déprimée et l'argent s'amenuisait parce que mon mari était encore étudiant. Presque en même temps, j'ai su que j'étais enceinte et ma grand-mère qui m'a élevée est morte. J'espérais que cela allait être un rayon de lumière, mais mon mari n'était pas heureux du tout. Il disait que ce n'était vraiment pas le moment, qu'il ne voulait pas me forcer mais qu'il ne voulait pas cet enfant, plus tard mais pas maintenant. Alors, parce qu'à ce moment-là j'aimais mon mari plus que tout le reste, que j'avais peur aussi de l'avenir, peur qu'il me laisse tombée, j'ai avorté.

Pour l'avortement, tout était très bien organisé. Cela s'est passé dans une jolie clinique publique au nom de “  maison maternelle ”, ce qui est une sinistre ironie, sous anesthésie totale. L'équipe médicale était très gentille. J'ai vu une première fois une psychologue qui m'a expliquée que je risquais d'avoir des séquelles physiques ou psychologiques puis un médecin qui m'a dit en gros que les horreurs qu'on voyait sur les méthodes d'aspiration se pratiquaient aux États-Unis et que nous, en France, nous faisions cela proprement, humainement et sans risque...  

On m'a donné quelques jours pour réfléchir et un rendez-vous impératif à un jour et une heure, sans deuxième chance. J'y ai été. C'était 3 jours après l'enterrement de ma grand-mère. J'aurais presque pu croire que c'était arrivé à quelqu'un d'autre et qu'on m'avait seulement retiré une dent. Je me rappelle encore que cela m'avait coûté 260 francs à l'époque, c'était en 1990. Nous étions là, un groupe de filles et de femmes qui essayaient de se remonter le moral et de se convaincre mutuellement que nous avions raison et que cela irait mieux “ demain ”. Nous étions entre nous, et les hommes étaient singulièrement absents à part quelques membres du corps médical.

Sur le moment j'étais très mal, et puis je me suis consolée et j'ai trouvé plein de bonnes raisons, surtout que trois mois après j'ai été embauchée à un poste très intéressant et bien payé et qu'on ne m'aurait jamais engagée avec un gros ventre. Et tout allait bien pour nous : nous avons tous les deux un bon travail, nous avons eu ensuite trois enfants. Juste en voyant grandir les enfants, parfois, puis de plus en plus régulièrement, je pensais à celui qui n'était pas là, en me demandant quel visage il ou elle aurait eu, quelle taille, quels goûts, etc.

A une période de ma vie, j'étais au bord de la dépression et dans tout cela, je pensais de plus en plus souvent à mon bébé perdu et je ne voyais plus que le mal et la saleté autour de moi.

Je ne vais pas raconter tout mon cheminement vers Dieu, mais finalement, je me suis trouvée un soir toute seule effondrée en larmes sur le plancher, à appeler Jésus au secours. Quand je me suis relevée, j'ai cru qu'il n'avait rien répondu. Je me suis juste rendue compte au bout de quelques jours que j'étais devenu quelqu'un d'autre!

Quelques mois plus tard, je me suis confiée à deux amies chrétiennes que je m'étais faites entre temps, et je me suis repentie en pleurant d'avoir tué mon bébé. J'ai demandé pardon à Dieu aussi pour que mes enfants soient déliés des conséquences de ce que j'ai fait.

Mais donc, tout n'était pas fini. Et cela a été très difficile pour moi de réaliser que j'en voulais à mon mari à travers toutes ces années, parce qu'il m'avait poussé pour que nous nous débarrassions de cet enfant qui encombrait notre égoïsme. Je lui en voulais de ne pas avoir été heureux, de ne pas avoir pris en charge, je lui en voulais d'avoir été faible en face de lui ; je lui en voulais parce que ce n'était pas que sa faute, mais qu'il me renvoyait à ce que j'avais fait, alors que j'avais bien envie de me voir exclusivement comme une pauvre victime. Et cela a empoisonné en sous-main ma vie de couple pendant toutes ces années.

Seulement après, j'ai pu réalisé qu'il en avait souffert aussi, au point de ne pas pouvoir en parler. J'ai pu me rappeler combien il avait été soulagé à la naissance de notre fille aînée, quand il avait dit : “ finalement, nous pouvons quand même en avoir ”. J'ai pu enfin lui dire, quand il me parlait de la possibilité d'un quatrième enfant dans notre famille, que pour moi il n'y aurait jamais de quatrième, mais un cinquième peut-être, parce que pour moi nous avions déjà eu quatre enfants.

Une fois, j'étais à mon groupe de copines chrétiennes (on se réunit sans mecs nous autour d'un café, on chante, on prie, on se raconte), il y avait avait une jeune femme qui avait été invitée parce qu'elle voulait avorter, n'étant pas convertie. C'est la première fois que j'ai témoigné publiquement de ce que j'avais vécu. Cela n'a pas été très concluant, et la femme en question a avorté. J'ai appris depuis que c'était la cinquième fois. Le groupe essayait de la soutenir, car sa vie était en loques, n'ayant jamais été aimée par qui que ce soit, mais se raccrochant toujours à un nouvel homme en espérant que...

J'ai découvert alors, que quand on lève le voile du silence, les yeux de nombreuses femmes se mouillent, la quasi totalité des jeunes femmes de mon groupe chrétien, ma collègue de bureau, etc., ou alors elles deviennent bien rouges ou bien blanches, et elles finissent pas dire que “ elles aussi ”, et puis une histoire sinistre de solitude, de peur ou de mépris. Et puis paf! Rideau, et on re-fait tous les jours comme si rien n'était jamais arrivé, et comme si on n'avait jamais rien dit.

Eh bien c'est un mensonge! Et il n'est pas facile de passer sa vie avec un mensonge. Moi, mon coeur chavirait quand l'un de mes enfants, en toute candeur, demandait forcément un jour ou l'autre “ c'est quoi un avortement? ” pour dire après explication: “ mais c'est pas possible, une maman peut pas faire cela??? ”. Moi, je n'ai jamais eu le courage de leur dire “ eh bien! Moi, si! ”. Que ce soit avant ou après être devenue chrétienne.


Lettre ouverte de Grégor Puppinck: Avortement, et maintenant ? (ECLJ - 2/4/2024) -> examine l'implication des francs-maçons dans l'avortement en France