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Samizdat

Critique du livre d'Alfred Kuen:
“Le labyrinthe des origines”.






Marc Hébert, agr., M.Sc.


Présentation du livre

Kuen, Alfred.
2005.
Le labyrinthe des origines.
Éditions Emmaüs, 265 pages

Ce livre, sorti de presse en 2005, constitue le 38e ouvrage d'Alfred Kuen aux Éditions Emmaüs. Cet auteur de renom, dans le monde évangélique francophone, n'en est donc pas à ses premières armes sur des sujets bibliques controversés comme les dons spirituels, le baptême de l'Esprit, le millénium et le rôle de la femme dans l'Église. J'ai personnellement été édifié par les ouvrages de M. Kuen dès le début de ma marche chrétienne, ainsi que par ses traductions de la bible (Bible du semeur, Parole vivante). Quand le “labyrinthe des origines” est sorti en librairie, j'ai donc voulu rapidement savoir ce que cet érudit chrétien avait à nous dire concernant les premiers chapitres de Genèse et leur signification.

Le titre du livre présente bien son contenu. L'auteur met en évidence que Genèse fait l'objet d'une multitude d'interprétations, souvent contradictoires, par des auteurs évangéliques estimés. Devant les contradictions de ces “docteurs de la loi”, et devant les explications scientifiques généralement véhiculées sur l'origine de l'homme et de l'univers, plusieurs chrétiens se sentent comme des prisonniers dans un labyrinthe d'interprétations. Qui croire, ou plutôt que croire? Le but d'Alfred Kuen est donc double. D'abord, il veut indiquer les “chemins” d'interprétation de Genèse 1 qui sont les plus probants pour nous sortir du labyrinthe. Toutefois, Kuen veut également amener les chrétiens à une appréciation et un respect envers les chrétiens qui comprennent les choses différemment, en vue d'un amour fraternel.

La méthode du livre consiste à présenter les différentes thèses d'interprétation du premier chapitre de Genèse, avec les arguments “pour” de leurs protagonistes, ainsi les arguments “contre” de leurs détracteurs. Entre le tiers et la moitié de ce livre de 250 pages est en fait constitué de citations d'auteurs d'horizons très différents, théologiens et scientifiques. Toutefois, à la fin de chaque chapitre, l'auteur met clairement en évidence les options qui lui semblent les plus crédibles aux plans théologique et scientifique. L'auteur considère en effet que l'interprétation de la Révélation spéciale (la bible), par l'exégèse, et l'interprétation de la Révélation générale (la nature), par la science, doivent ultimement concorder, car toutes deux viennent de Dieu.

En définitive, l'auteur finit par conclure que certains chemins du “labyrinthe” sont à rejeter complètement. C'est notamment le cas de la théorie du gap (ou théorie de la restitution) qui voit entre les versets 1 et 2 de Genèse 1 une période de temps (gap) qui aurait supporté une création antérieure à la création actuelle, expliquant ainsi l'origine des fossiles animaux et hominidés.

Kuen rejette aussi l'interprétation des “néo-créationnistes” à l'effet que la Terre serait jeune (quelques milliers d'années). Les objections de Kuen sont d'ordres moral, biblique et scientifique. Au plan moral, l'hypothèse d'une Terre jeune “implique que Dieu a voulu jouer un tour aux savants en faisant apparaître des fossiles comme s'ils étaient vieux de quelques millions d'années, alors qu'ils ne dateraient que de quelques milliers d'années”, p. 103. Selon Kuen, ce “tour” ne serait pas compatible avec le caractère de Dieu qui ne ment pas.

Au plan biblique, Kuen considère que les “néo-créationnistes” surestiment les impacts physiques du déluge en écartant de leur modèle certains passages des Écritures : “... la Bible suggère que la géographie d'après le déluge ressemblait à celle d'avant la catastrophe. Cela se voit, par exemple, dans la localisation du jardin d'Eden (Gn 2.28-14)”, p. 105.

L'argumentation la plus articulée de l'auteur contre le néo-créationnisme ( Terre jeune), est d'ordre scientifique. L'auteur se réfère à la convergence des méthodes de datation basées sur la stratigraphie, la radiométrie et l'astronomie qui toutes indiqueraient une terre et un univers anciens (milliards d'années). “Que certaines méthodes soient sujettes à caution, les savants eux-mêmes le reconnaissent, mais leur consensus sur un certain nombre de conclusions est garant de la fiabilité des résultats de leurs recherches” (p. 135).

L'auteur présente toutefois de nombreux contre-arguments au darwinisme en citant des auteurs non chrétiens (Denton, Hoyle), de même que des auteurs chrétiens néo-créationnistes (Morris, Withcomb, Gish), ou appuyant la thèse d'une Terre ancienne (Ross, De Young, Shallis). Kuen conclue que les deux fondements du darwinisme, soit l'hypothèse d'un continuum entre les espèces et la présupposition de mécanismes biologiques permettant un changement d'une espèce à une autre, ont été invalidés par la science. En rejetant le darwinisme, Alfred Kuen rejette donc par le fait même l'évolutionnisme théiste.

En définitive, Kuen considère que l'on doit interpréter Genèse selon une lecture souple, à la fois “concordiste” et “littéraire”. On devrait ainsi considérer que les jours 1 à 6 de la création mentionnés en Genèse, bien que présentant une séquence chronologique, réfèrent plutôt à des périodes longues, conformément à “l'évidence” scientifique. La présentation des jours serait également un procédé littéraire pour présenter les thèmes de la création. La Terre était au départ informe et vide, et Dieu a mis une forme à la terre (jours 1 à 3) en vue de la remplir (jours 4 à 6).


Critique du livre
L'approche utilisée par le frère Kuen a l'avantage de présenter les diverses thèses avec beaucoup de nuances. Par contre, la lecture du livre est ardue et il faut beaucoup de “mémoire vive” pour suivre l'auteur dans la trame des arguments et contre-arguments qu'il amène au gré des divers ouvrages qu'il cite.

En exprimant clairement que la thèse évolutionniste est insoutenable, Kuen se distingue courageusement de certains de ses collègues évolutionnistes qu'il estime, notamment le professeur Henri Blocher. Toutefois, l'argumentation de Kuen contre les partisans de la “ Terre jeune” est presque aussi cinglante que l'a été celle de Blocher, 25 ans plus tôt (Révélation des Origines. En fait, Alfred Kuen considère que les néo-créationnistes sont souvent peu crédibles ou ignorants, au plan scientifique, et tendancieux dans leur interprétation biblique.

Il est certes utile que M. Kuen fasse part à la communauté évangélique des erreurs ou faiblesses du modèle “néo-créationniste”, dans le domaine de l'interprétation biblique et de la science. Son argumentation mérite d'être étudiée avec honnêteté. Toutefois, les objections morales et bibliques de M. Kuen à l'interprétation d'une Terre jeune tiennent sur seulement 3 pages, alors que ses objections scientifiques tiennent sur près de 30 pages. Il y a ainsi prépondérance des arguments “scientifiques” sur les arguments bibliques, ce qui me semble déséquilibré pour le lecteur évangélique qui voudrait fonder ses convictions sur la base de la Parole de Dieu, d'abord et avant tout.

Je m'attendais à ce que ce livre, écrit par un bibliste, apporte des réponses sur les difficultés d'interprétation biblique de Genèse 1 et 2 (les disparités apparentes dans l'ordre de création, par exemple, ou les noms des fleuves en Eden avant le déluge). Mais je suis resté sur mon appétit, car l'auteur ne présente pas beaucoup de solutions satisfaisantes à ces questions. En fait, il parle assez peu du deuxième chapitre de Genèse.


Pour conclure ...
Je pense que Le labyrinthe des origines est un livre incontournable, ne serait-ce que par le fait qu'il est écrit par Alfred Kuen, un frère respecté dans la communauté évangélique francophone. Il présente aussi le panorama des différentes thèses en présence avec beaucoup de précision. Je suggérerais volontiers ce livre à un chrétien aux prises avec l'illusion évolutionniste. Je sais par expérience que la croyance en l'évolution peut miner la foi en l'exactitude et l'autorité de la Parole de Dieu. Or, “sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu” (Héb 11 :6).

Le livre de Kuen nous exhorte aussi à être humbles face à nos frères et face au monde. Il faut bien l'admettre, Genèse est un livre qui reste avec des difficultés d'interprétation considérables, peu importe notre école de pensée. Le premier livre de la Bible devra continuer à être lu par la foi si nous voulons espérer pouvoir comprendre quelque chose sur nos origines : “C'est par la foi que nous comprenons que le monde a été formé par la parole de Dieu” (Héb 11 :3).

Quant à l'argument de la “convergence” des données scientifiques, qui attesterait que la Terre est ancienne, M. Kuen fait à mon avis preuve d'imprudence par rapport à la Révélation écrite. Certes, “devant le Seigneur un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour” (2Pi 3 :8). Toutefois, la bible n'enseigne jamais que la Terre est si ancienne (millions ou milliards d'années). Une lecture sans idée préconçue nous porte même à croire qu'elle est jeune – d'où le fait que la Genèse est discréditée par la communauté scientifique. D'ailleurs, les actes créateurs et les miracles de Dieu nous sont souvent présentés comme étant instantanés, suite à la Parole de Dieu : “Car il dit, et la chose arrive, Il ordonne, et elle existe” (Ps 33 :9). Le salut (nouvelle création) est aussi instantané, tout comme le sera la résurrection du corps, “en un instant, en un clin d'œil, à la dernière trompette” (1Cor 15 :52).

Par ailleurs, les auteurs du Nouveau-Testament nous avertissent avec insistance de ne pas être séduits par la philosophie et la sagesse du monde. Or, les méthodes de datation, dites “convergentes”, le sont en bonne partie parce que la communauté scientifique écarte encore presque systématiquement les méthodes de datation et les évidences “divergentes”. Peut-on se fier aux méthodes de datation radiométriques qui donnent un âge estimé à plusieurs millions d'années pour les roches formées suite à l'éruption récente du mont St-Helens ? Peut-on se fier à un âge de 13 milliards d'années pour l'univers, alors que les âges estimés par différents astronomes varient en fait entre 8 et 25 milliards d'années[1] ? Je ne crois pas.

Dans le domaine de la compréhension des origines, je pense qu'il est dangereux de “bâtir sa maison sur le sable” de la tradition des hommes, fussent-ils des scientifiques émérites. D'une part, l'homme est limité dans sa compréhension “Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies” És 55 :8. D'autre part, il ne faut pas sous-estimer la profondeur de la corruption de l'homme qui influence subjectivement son interprétation des faits et de la bible. Une recherche exagérée de “concordismes” entre la bible et les théories du monde a conduit plusieurs théologiens et prédicateurs évangéliques à embrasser la théorie du gap et l'évolutionnisme théiste. Or, ces amalgames contre-nature n'ont pas résisté à l'épreuve et ont induit des millions de chrétiens dans l'erreur. Cela doit nous servir de mise en garde concernant un concordisme de la “Terre vieille”.

Jésus nous dit : “le Créateur, au commencement, fit l'homme et la femme” (Mt 19 :8). Comment donc penser que l'univers a été créé 13 milliards d'années avant le commencement ? Alfred Kuen ne m'a donc pas convaincu bibliquement que la Terre était vieille. Néanmoins, cette croyance qu'ont certains frères bien-aimés n'est peut être pas en soi aussi incompatible avec la foi chrétienne que la croyance en l'évolution.


Notes

[1] Informations présentées par Julien Perreault dans “L'âge de la Terre, l'âge de l'univers”. Novembre 2002. ASCQ.