Paul Gosselin
Un soir, je n'arrivais pas à dormir, tant pis pour vous...
Le fabuleux destin d'Amélie Poulain est un film original, bien joué. Vaut mieux répéter, Le destin est un film original, plein de trouvailles. Amélie est une jeune parisienne sympa que la vie n'a pas toujours choyé. Enfance isolée, sa mère décède dans des circonstances fort étranges et elle se voit élevée par un père peu bavard, renfermé. Elle grandie et trouve une place dans un café. Mais dans la vie, elle n'a pas trouvé sa place. Mais le jour du décès de Lady Di, Amélie voit les choses basculer. Elle sort de sa coquille et se mêle des affaires des autres. La vie dans son quartier prendra des détours imprévisibles...Et ceux qui l'emmerdent, gare à eux ! Amélie leur fait des coups épouvantables, pas trop méchants, juste assez. L'épicier grincheux a dû regretter...
"Le fabuleux destin" comporte quelques scènes à caractère sexuel, dans le dosage habituel pour un film contemporain. Il reste que ce n'est pas un film érotique, ce n'est pas l'objectif. Sur le plan du marketing du film, il y a assez de sexe pour attirer le regard du mâle et assez[1] encore pour maintenir le culte du corps chez la femelle et la notion qu'il existe, quelque part, un standard, un étalon, pour mesurer sa beauté féminine et établir sa valeur. Du sexe, oui, mais le film vise autre chose, c'est-à-dire une de ces dernières choses auquelle peut CROIRE encore l'homme et la femme postmoderne; l'AMOUR. Les grands projets politiques collectifs n'ont plus la cote depuis un moment, on n'y croit plus. On aspire plus à devenir de bon camarades, mais seulement de bons consommateurs, sans plus.
Le monde d'Amélie Poulain est comme la nôtre. Il comporte ses moments de douleur, de solitude, d'ennui et de tragédie, mais aussi des moments d'humour, de beauté et de douceur. Le chrétien peut comprendre ces deux visages de la Réalité car les Écritures nous déclarent que nous vivons dans un monde dont la beauté rappelle, de manière lointaine, la Création originale. Mais ces mêmes Écritures nous affirment que nous vivons dans un monde déchu, où l'effet de la Chute affect tous les aspects de nos vies. Un monde où le tragique côtoie des beautés inouïes. Un monde soumis à la vanité...
Le culte du marginal
Entre autres, "Le fabuleux destin" développe le culte du marginal et de l'individu excentrique. Amélie est excentrique à sa manière. Son ami et voisin, Raymond Dufayel le peintre fragile est excentrique aussi, un reclus qui ne fait que peindre chez lui des reproductions de Renoir. Le premier ami, du sexe opposé, d'Amélie est aussi excentrique. Il assemble des albums de photos à partir de photos abandonnées dans les "photos matons" ou kiosques à photos automatisés dans les métros de Paris. Il travaille dans un magasin de locations de vidéos porno et dans un manège d'horreur où, déguisé en squelette, il fait peur aux petites dames. L'individu à donc une valeur, peu importe s'il est d'un genre populaire, prisé par la société ou pas.
Même si on est brimé par la vie, sans grand pouvoir économique ou prestige professionnel, on a des choses à dire. Mais n'est-ce pas une notion artefact, un vestige d'une vision du monde "dépassée" ? Les Écritures nous enseignent effectivement que tous sont fait à l'image de Dieu sont dignes de respect à ce titre. Mais dans notre monde "politically correct" on oublie vite de tels détails. D'ailleurs de tels oublis sont même utiles sur le plan marketing et le maintien de l'ordre des choses. Mais si on est une poussière d'étoiles, dans un univers indifférent, pourquoi se soucier du marginal à moins d'en tirer un profit direct ? Pourquoi se soucier d'un autre comme le fait Dufayel à l'égard d'Amélie et qui joue le rôle de prophète, confesseur, ami et gourou. Et Nino, le petit ami d'Amélie qui travaille dans une boîte porno, est-ce essentiel pour le scénario ? N'aurait-il pas tout autant être vidangeur, plombier ou fermier ? À moins qu'on tente de nous faire passer le message subliminal que ce sont des marginaux qu'il faut accepter/admirer ? Non, sans doute pas, j'ai sûrement l'imagination trop fertile...
Existentialisme ?
"Le fabuleux destin" comporte une note existentielle. Malgré l'affirmation initiale, que la vie est déguellasse, avancée par le film, on nous affirme aussi que pour l'Amour, il faut prendre des risques et sortir de sa routine. Mais on ne justifie pas cette affirmation. Permettez moi alors de poser des questions emmerdantes auxquelles on ne préfère pas répondre... À vrai dire, on peut se demander si on avait changé le récit un tout petit peu, en conservant le personnage d'Amélie enjouée, vingtaine, marginale, mais en troquant son apparence physique pour une dame de 100kg en chaise roulante. Est-ce que ça aurait marché autant ? Est-ce qu'on aurait cru aux élans du cœur d'Amélie et ses excentricités audacieuses dans de telles circonstances si on lui avait ajouté de telles contraintes physiques ? C'est fort peu probable car toute personne dans cette condition connaît fort bien les préjugés à son égard. Nous sommes des créatures de circonstance, si fragiles... Je vous ennuie avec mes questions? Désolé...
La culture populaire est schizophrène. D'un côté, on rejet la vision du monde judéo-chrétienne, la notion d'un Créateur ou d'une divinité qui se mêle de la vie de ses créatures. D'un autre côté, on récupère un tas de valeurs et de concepts qui n'ont de sens que dans le contexte de la vision du monde judéo-chrétienne. Si nous vivons effectivement dans un univers dur et indifférent comme on nous l'affirme au début du film, où pouvons-nous chercher une source d'espoir dans nos activités ou une règle pour nous diriger dans notre conduite les uns envers les autres, les hommes à l'égard des femmes, et vis versa. ? Qui nous dira ce qu'est le Bien et le Mal ? Comment savoir si Amélie fait le bien... ou le mal ? À vrai dire, l'univers s'en fout ! Trop vite nos élites culturelles et médiatiques se replient sur de vagues notions d'altruisme et de romantisme, des reliques culturelles d'un monde "dépassé", sans s'inquiéter si ces notions ont quelque fondement dans la vision du monde adoptée par l'homme postmoderne. Un grand vide se dresse devant nous, mais on s'en détourne très vite les yeux. Ce vide éthique, sur le plan des relations homme - femmes, a été constaté par un auteur qui n'a pas craint de crier tout haut ce que d'autres n'osent penser tout bas, Donatien Alphonse François, marquis de Sade. Voici sa vision des privilèges du mâle... (1795/1972: 112)
"S'il devient donc incontestable que nous avons reçu de la nature le droit d'exprimer nos vœux indifféremment à toutes les femmes, il le devient de même que nous avons celui de l'obliger de se soumettre à nos vœux, non pas exclusivement, je me contrarierais, mais momentanément[2]. Il est incontestable que nous avons le droit d'établir des lois qui la contraignent de céder aux feux de celui qui la désire; la violence même étant un des effets de ce droit, nous pouvons l'employer légalement. Eh ! la nature n'a-t-elle pas prouvé que nous avions ce droit, en nous départissant la force nécessaire à les soumettre à nos désirs ?"
Certes Sade ne fut pas un romantique, mais on ne peut l'accuser de ne pas avoir de la suite dans les idées. Somme tout, si le mâle est généralement le plus fort pourquoi n'exploiterait-il pas cet avantage dans sa relation avec les femmes ? Mais faut croire que d'avoir trop de suite dans les idées donne des maux de tête aux autres et ça nous rend un personnage ennuyeux. C'est comme ça... Il faut souligner que ce qui me motive à aborder la question de l'incohérence éthique dans le cas du "fabuleux destin" n'est pas que ce film en particulier soit particulièrement fautif. Ce n'est pas le cas car l'incohérence éthique du "fabuleux destin" n'est que le reflet des incohérences de la culture populaire dans son ensemble ainsi que nos idéologies postmodernes.
Mais laissons le marquis, les incohérences et revenons à Amélie. En amour, elle a des difficultés, elle hésite. Par moments, elle semble aimer d'avantage ses phantasmes d'hommes qu'un homme en chair et en os qui frappe à sa porte. Les phantasmes, c'est du connu, rassurant. Le mâle en chair et en os ne saurait se comparer au mâle phantasmique, ce mâle parfait, ce mâle prévisible, manipulable. De ce fait, le mâle en chair et en os est, a priori, méprisable. Il ne saurait pas vraiment se mesurer au mâle phantasmique. La concurrence est déloyale. L'amour du mâle phantasmique est un amour facile, car il s'agit en somme de l'amour d'une projection, d'un amour narcissique, l'amour de soi... Dans ce bas monde, l'Amour véritable implique toujours le risque. Mais nous aussi, lorsqu'un Autre frappe à la porte de nos curs, Lui ouvrions-nous ?
Dormez bien.
Site web du film: Le fabuleux destin d'Amélie Poulain
SADE, Marquis de; Blanchot, Maurice | Français, encore un effort si vous voulez être républicains. (extrait de “La Philosophie dans le boudoir”) précédé de L'inconvenance majeure. Jean-Jacques Pauvert Paris 1795/1972 (coll. Libertés nouvelles; 23) 163 p. |
Titre: Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain
Réalisation: Jean-Pierre Jeunet
Acteurs: Audrey Tautou, Mathieu Kassovitz, Rufus, Lorella Cravotta, Serge Merlin, Claire Maurier, Jamel Debbouze, Clotilde Mollet, Isabelle Nanty, Yolande Moreau
Sortie: avril 2001
Durée: 2:00