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Samizdat

Bruce le Tout-Puissant.






Christian Bourgeois

Bruce le Tout-PuissantBien des gens ont voulu rajouter derrière leur nom: ..."Tout-Puissant". Hitler, Bokassa, Jules César, Napoléon et quelques autres, mais personne ne l'a fait avec autant d'humour (à mon humble avis) que Tom Shadyac dans son film "Bruce Tout-Puissant". Il faut dire que s'il s'est entouré de Jim Carrey et de Jennifer Aniston, il a su aussi faire appel à Morgan Freeman, un acteur noir, pour jouer le rôle de Dieu. Peut-on rêver d'un humour plus accrocheur d'autant que la première vision que l'on a de ce "Dieu" est celle de quelqu'un d'incroyablement paisible, détaché, mais non insensible, et qui plus est...passe la serpillière.

Vous imaginez-vous un seul instant Jules César en train d'interrompre une de ses esclaves ramenée d'une conquête (des Gaules par exemple) occupée à passer un chiffon à poussière pour lui dire: "Laisse, je vais le faire"? Ce serait un gag digne des Monthy Python et pourtant...

Il m'a semblé lire dans les évangiles que Jésus se serait abaissé à laver les pieds de ses disciples. Œuvre tellement humiliante (abaissante?) - car seuls les esclaves lavaient les pieds - que Pierre l'interrompt un court moment (Jean 135), jusqu'à ce que Jésus lui explique brièvement la portée universelle de son geste.

Revenons au début du film. Bruce Nolan exerce un métier de présentateur un peu dans le style de la rubrique des chiens écrasés dans un journal, ce qui ne lui plaît pas d'autant plus qu'il préfèrerait occuper la place de présentateur (vedette évidemment) du "vingt heures".

Mais surtout, éternel (hum!) insatisfait, il se plaint constamment de tous les maux qui l'accablent criant à une injustice dont il rend Dieu responsable, incapable de voir la perle que Celui-ci lui a déjà donné, Grace, qui porte bien son nom puisque, aveuglé par son égocentrisme maladif, il est incapable de s'en emparer, de la faire sienne alors qu'elle s'est déjà offerte à lui.


Bruce en veut à Dieu. Il le dit, le répète, le martelle dans l'esprit de sa compagne complètement démoralisée de voir l'amour de sa vie sombrer dans un nombrilisme ahurissant duquel elle essaie, mais peine perdue, de l'éveiller. "Tu ne parles que de toi". Elle n'a pas la force de le hurler, mais elle le dit d'autant plus affaiblie que le découragement accomplit inexorablement son œuvre destructrice.


Nous le découvrons une fois de plus: les plus grandes vérités ne se hurlent pas: elle se murmurent (1 Roi 1911-13). Mais voilà qu'à force d'incriminer Dieu, Celui-ci, un peu fâché tout de même, lui envoie un numéro de téléphone puis un SMS l'invitant à se rendre dans un lieu n'ayant rien à voir avec l'idée qu'on se fait d'un temple pour lui faire une étrange proposition: être Dieu à sa place pendant sept jours.

A écrire ces lignes je me dis que l'intention, si elle n'émanait de Dieu, serait un peu perfide et le piège grossier. D'ailleurs, n'importe qui sain(t) d'esprit refuserait immédiatement une telle offre (ou devrait le faire). Jouer à être Dieu, d'accord; mais quant à y être vraiment... Pourtant Bruce accepte et découvre émerveillé les nouveaux débouchés que lui offrent ses nouvelles capacités.

Jetons, si vous le voulez bien, un regard curieux sur ses expériences. Tout d'abord, il se venge d'une agression dont il fut victime quelques jours plus tôt grâce à une parole (très) créatrice. Ensuite, probablement impressionné par la célèbre photo de Marylin Monroe, il fait souffler un courant d'air qui soulève la jupe d'une jeune femme. Puis, un peu gamin sur les bords, il fait exploser une borne à incendie, s'habille à moindre frais, change de voiture et libère le chemin devant lui lorsque les embouteillages risquent de le mettre en retard à son travail.

Ceci pour parler de quelques uns de ses exploits mais ce n'est pas tout. Il devient une bombe sexuelle et impose (le mot n'est pas trop fort) à Grace de repousser certaines de ses limites. Puis, marchant de progrès en progrès, il passe maître dans l'art de la manipulation et ridiculise le comportement à l'antenne de son rival qu'il veut détrôner de son siège de présentateur du journal pour prendre bien évidemment la place laissée vacante. Avec succès d'ailleurs.

Grâce aux super pouvoir que Dieu lui a donné, le petit minable qui ratait tout devient performant, le meilleur, allant jusqu'à provoquer des accidents aux endroits où il se trouve afin d'avoir le privilège du "scoop"! Et pas n'importe quel accident puisqu'il fait même tomber une météorite du ciel.

Une rencontre avec Dieu, le vrai, s'impose...

Et se révèle alors le vrai sens des vrais miracles. Dieu lui explique très patiemment que ce qu'il appelle miracle n'est en réalité que de la magie et à ses tours minables de passe-passe, Il leur oppose le vrai miracle. L'ado qui ira en cours (assurer son avenir) au lieu de prendre de la drogue, la mère célibataire qui a deux emplois à temps partiel mais qui peut quand même emmener ses enfants à l'entraînement de football, cela est de l'ordre du miracle. "Puis, poursuit "Dieu", les gens lui demandent souvent de faire des miracles sans savoir qu'ils ont le pouvoir de les accomplir eux-mêmes".

Alors, au lieu de vouloir faire des miracles, Bruce se voit proposer d'être ce miracle. Immensité de la grâce de Dieu qui ne fera jamais les choses à notre place afin de ne pas nous empêcher d'exister. Cela s'appelle élever ses enfants je crois, au sens propre du mot.

Mais voilà, le plan diabolique pour diviser ce couple est à l'œuvre: Grace, témoin d'un baiser (volé) entre l'amour de sa vie et une des collègues de travail de Bruce le quitte. A vouloir trop gagner on risque de tout perdre dit le proverbe. Les nouveaux pouvoirs de Bruce seront-ils suffisants pour la faire revenir? Ou sa nouvelle notoriété?

La sensation du pouvoir peut-elle vraiment remplir le cœur d'un homme? D'ailleurs, est-ce vraiment fait pour cela? N'est-ce pas plutôt fait pour nous montrer que la vraie voie n'est pas celle là? Ce que nous dit Jésus quand il explique : "Etroit et resserré est le chemin qui mène à la Vie, large est celui qui mène à la mort". Large comme le chemin que Bruce est en train d'emprunter –malgré ses tout nouveaux pouvoirs.




Mais, comme l'a dit un de nos illustres poètes: "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé".

Durant ce que j'appelle son pélerinage, Bruce découvre la prière. Les prières. Des millions de prières qui encombrent son entendement au point qu'il se crée un progarmme informatique chargé de toutes les enregistrer afin de toutes les exaucer. Bravo Bruce! Tu es meilleur que Dieu qui Lui ne répond pas nécessairement à toutes les demandes provoquant les murmures de beaucoup. "Si Dieu existait... Si Dieu m'aimait... Ah, si Moi j'étais Dieu...". Si Moi j'étais Dieu...Tiens, tiens...

Enfin débarrassé de cette corvée à laquelle il ne s'attendait pas, Bruce va enfin pouvoir se reposer. Mais hélas pour lui son septième jour n'est pas encore arrivé et les chaos économiques et sociaux que provoque sa mansuétude à l'égard de tous ont un résultat inattendu: sa photo digne pendant de la statue de Nabuchodonodor est mise à terre et foulée aux pieds.

Réflexion faite, heureusement que Dieu ne répond pas à toutes nos prières...

Bruce est en échec. Qu'on se le dise!

Celui qui voulait être le premier, le meilleur, le plus fort va devoir apprendre une grande leçon: accepter de n'être rien et de s'en réjouir. Etes-vous d'accord? J'espère que non !

Il n'est pas rien. C'est à ses yeux qu'il n'est rien, et à ses yeux seulement. Ô merveille de la grâce de Grace qui le prend tel qu'il est et l'aime, ne comprenant pas pourquoi il ne peut s'accepter puisqu'elle le fait avec tant de simplicité. Simplicité, un mot "old fashioned" semble-t-il. Alors elle souffre, se meurt d'angoisse et prie .


D'ailleurs toutes ses prières sont enregistrées sur l'ordinateur, mais curieusement celles-ci ne sont pas encore lues par Bruce.

C'est la sœur de Grace qui l'alerte. S'appellerait-elle Vérité? Pas lues, donc pas exaucées. Elles le seront mais plus tard car Dieu (le vrai), qui ne peut pas s'empêcher d'être Dieu, veille. N'est-il pas écrit que lorsque nous prions selon Sa volonté, quoique nous demandions, Il nous écoute et s'Il nous écoute, nous avons l'assurance qu'Il nous répondra?

Alors Bruce commence à se repentir, à aider son prochain et à restituer à son ennemi, pardon son rival ce qu'il lui a volé, sa place de présentateur vedette, mais ce n'est pas tout.

Il craque. Trop dur d'être Dieu quand on n'est qu'un dieu (Jean 1034-35 ) et s'agenouille sur l'autoroute pour prier, ce qu'il ne faut jamais faire lui dit ce Dieu qui pour autant spirituel qu'Il est n'en n'est pas moins très pratique.

Deux problèmes restent à régler et en plus dans le bon ordre. N'avez-vous jamais entendu dire que Dieu est un Dieu d'ordre? C'est une chose de l'entendre dire, mais une autre que de le vivre, alors lorsque Bruce craque, c'est pour refuser de continuer à vouloir être Dieu. Ce n'est pas sa place, ce n'est pas lui. Il est enfin prêt à accepter ses propres dons, à les reconnaître et à s'accepter tel qu'il est pour le plaisir de tous, son bonheur à lui et la joie du Père dans laquelle il va pouvoir enfin entrer, mais aussi, cerise sur la gâteau, prêt à voir à-travers Ses yeux! Comme il est écrit au psaume 407-9 .

Ca c'est la première des deux dernières étapes. Dieu résoud chez Bruce un problème de fond et lui donne une capacité nouvelle: voir comme Dieu voit, la liberté offerte à l'homme (Les yeux de l'Oracle. cf Matrix).

Bruce ne se pose plus en rival de Dieu.

Le problème qui a miné et détruit son couple, car Dieu aime les couples, se résoud ainsi. C'est avant tout un problème d'individu et de relation avec lui-même et avec Dieu.

La deuxième étape, c'est la réconciliation. Le docteur qui certifie à Bruce allongé sur son lit d'hôpital que "quelqu'un doit l'aimer là-haut" précède de peu l'intervention de Grace qui porte décidément bien son nom car c'est elle qui lui donne de son sang, un sang très rare, mais pas autant que celui du Christ.

Victime de l'égocentrisme de Bruce, elle ne peut se résoudre à le détester et, victorieuse de son combat, va jusqu'à donner son sang à celui qui restera son chéri tout en lui affirmant que "Tout est oublié ". Donc pardonné. Pourtant, elle aura tout essayé de son côté. Elle retourne chez sa sœur et prie dans les larmes le Seigneur de l'aider "à décrocher" de son amour mais comme je l'ai dit plus haut, heureusement que Dieu n'exauce pas toutes nos prières.

Je ne sais pas si Tom Shadyac (le metteur en scène) est chrétien, mais la démonstration radicale de l'Amour de Dieu, de son humour et de sa sagesse sont impressionnant.

Dieu ne contrarie pas la frustration de Bruce par un système de lois auquel le pauvre aurait dû se soumettre "pour devenir convenable". Il l'accompagne (Emmanuel, Dieu avec nous). Il n'épargne pas une certaine détresse (Psaume 23), Il la gère. Il ne refuse pas la crise (de couple), Il la sublime.

Mais aussi, j'ai vu Bruce Nolan apprendre à prier. Non pas de belles formules, fussent-elles aussi belles que le Notre Père, mais une prière du cœur, une de ces prières que Dieu ne peut pas ne pas exaucer. Car il y a aussi des prières qui sont faites pour que Dieu ne les exauce pas. Je dirais même qu'il y a des prières qui disent oui avec la bouche et non avec le cœur, ou l'inverse.

Voyez-vous, ce que Dieu aime chez Bruce, c'est qu'il est entier, comme Job pouvait l'être.

Bruce avait besoin de s'accepter tel qu'il était. C'est, suis-je tenté de dire, la première des façons que nous avons d'être des adorateurs en Esprit et en Vérité (Jean 423 ) et cela nous parle d'authenticité, mais aussi de confiance.

Le chemin ne fut pas facile pour Bruce pas plus qu'il ne l'est pour chacun d'entre nous, mais il en vaut la peine, à cause d'Emmanuel. Bruce découvre un autre trésor sans lequel il n'est rien et, suis-je encore tenté de dire (et je cède encore à la tentation...) sans qui ce trésor n'est rien non plus, me semble-t-il.

C'est Grace. "Un seul être nous manque et tout est dépeuplé" ai-je écrit plus haut. Dans le livre de la Génèse, en parlant de la relation homme/femme (ish/isha), il est écrit qu'Il lui fit une aide qui lui soit accordé (suitable en anglais).

Autant dire qu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre, qu'ils ne peuvent se réjouir sans la joie de l'autre et pour parler d'une façon absolue: leur nourriture est la joie de l'autre, une nourriture abondante, constamment renouvelée et qui ne frustre ni n'affame personne.

L'Amour, est véritablement une affaire de réciprocité.

Nous sommes loin des soi-disants conseils donnés par de soi-disants sages qui prétextent qu'il vaut mieux divorcer quand plus rien ne va, qu'un(e) autre fera mieux l'affaire (Je ne parle pas bien sûr des situations de violence conjugales ou autre travers portant à la dénaturation de l'Autre, pour lesquelles des réflexions plus approfondies doivent être menées).

C'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre nous dit Jésus. Il y a un avant la rencontre et il y a un après la rencontre.

Notre Bruce est amer, égocentrique, aveugle et avide de gloire. Son attitude désobligeante commence par détruire Grace, continue par ses collègues de travail dont l'un d'eux qui voit sa carrière détruite (ou presque) par sa jalousie pour lui revenir par un magistral retour à l'envoyeur. La Loi est ainsi faite, et personne ne la changera. Celui qui pêche contre autrui se blesse lui-même. "Celui qui tue par l'épée périra par l'épée" explique Jésus à Pierre. On devrait y réfléchir plus souvent.

Après? Le bonheur semble revenu. Bruce est retourné à ses occupations et rend un vibrant hommage à Grace dont le sourire est revenu sur le visage, récompensée qu'elle est de se voir demandée en mariage.


Quant à la foule, heureuse, elle retrouve son commentateur préféré. Et Dieu? Il n'est pas loin, ayant revêtu la forme d'un aveugle mendiant dont l'écriteau porte la mystérieuse mention: "Armagueddon approche".

Bruce Tout-Puissant change-t-il de nom, où est-ce le sens de ce nom qui change? N'est-ce pas en effet sous la forme d'un Serviteur que le Dieu Tout Puissant est venu habiter sur terre avec nous? En était-Il moins "Tout Puissant" pour autant? Dieu veut faire de nous des "Tout Puissant"... à l'image de Son Fils et de Bruce, celui de la fin du film qui ne peut pas vivre sans Grace.