Vie chretienne Comos Plan Engin de recherches Plan du site

Samizdat

La force des comédies-ballets de Molière[1].





Karen Leduc

Ce qui distingue la comédie-ballet des autres comédies c'est qu'elle marie ensemble la comédie, la musique et la danse. Cette comédie multidisciplinaire n'était pas une nouveauté; on retrouve ce type de comédie, entre autre, chez les Grecs. En effet, Aristophane, par exemple, écrivait des pièces où se mélangeaient, la musique, la danse et la poésie. Ce n'était pas nouveau non plus aux XVIe et XVIIe siècles, plusieurs auteurs tentèrent de faire des pièces multidisciplinaires. De plus, entre 1648 et 1665, le ballet de cours était très populaire. Il faisait, lui aussi, intervenir la danse, la musique et la poésie. S'il n'était pas nouveau de voir un auteur mélanger la comédie, la musique et la danse dans une pièce, pourquoi les comédies-ballets de Molière sont-elles si exceptionnelles?


MolièreLa comédie-ballet : Molière réussit là où d'autres ont échoué
Bien que d'autres aient harmonisé la poésie, la danse et la musique, Molière fut le premier à y parvenir d'une manière presque parfaite. En effet, vers 1581, un valet du roi, nommé Baltasarini, fit représenter, avec l'aide de La Chesnaie, aumônier du roi, et sieur Beaulieu, le Ballet comique de la reine[2]. Toutefois, cette pièce coûta près de 3,6 million de francs[3]. Ce qui était trop dispendieux pour pouvoir être imité. Puis, en 1640, un nommé Chillac donna une pièce singulière qui s'intitulait Comédie de Chansons[4]. Selon Pellisson, pour cette pièce, l'auteur avait imaginé une fable assez plate qui lui servait à lier les propos qu'il mettait dans la bouche de ses personnages et qui étaient chantés par eux sur des airs alors en vogue à la cour et à la ville[5]. En 1664, dans la suite de Chillac, un auteur anonyme donna une pastorale en chanson intitulée l'Inconstant vaincu. Il semblerait qu'elle ait connu un certain succès puisque l'année suivante, il y eut la publication d'une seconde édition[6]. Toutefois, ce succès ne semble pas avoir duré.

De plus, les ballets de cour ne peuvent pas vraiment être considérés comme des œuvres d'art, parce que les éléments ne forment pas un ensemble à part entière. “ Ce qui leur manquait d'abord, et surtout, c'était un intérêt où l'esprit pût se prendre : le plus souvent, ils n'avaient pas un sujet véritable[7] ”. Donc les scènes du ballet n'avaient pas de liant entre elles; elles étaient juxtaposées les unes à côté des autres. Ceci est compréhensible lorsque l'on considère que ce n'était pas des hommes de lettre qui composaient les ballets, mais ils étaient écrits par des seigneurs de cour ou leurs domestiques. En général, les ballets étaient présentés dans une demeure royale ou seigneuriale et souvent des personnes de marque et même le roi lui-même dansaient dans le ballet. Les ballets n'étaient en somme que des spectacles conçus pour le divertissement des invités.

C'est le 17 août 1661 que Molière créa la première comédie-ballet, Les Fâcheux. Cette pièce était dédiée au divertissement du roi. D'ailleurs, toutes les comédies-ballets qui suivirent furent écrites à l'occasion d'une fête royale. C'est le surintendant Fouquet qui travailla à la réalisation de cette fête dédiée au roi, Louis XIV, organisée dans le parc du château de Vaux-le-Vicomte. Le surintendant commanda une comédie à Molière. Ce dernier écrivit Les Fâcheux en seulement quinze jours. Dans la pièce, les entractes étaient remplis par des divertissements dansés dont le thème constant était le même que celui de la comédie[8]. Les comédies-ballets qui suivirent procédaient d'une esthétique semblable. Le roi apprécia la pièce de Molière si bien qu'il lui commanda des pièces lors des trois journées des Plaisirs de l'Île enchantée. Jusqu'en 1673, Molière participa aux fêtes royales qui avaient pour objet le roi Louis XIV, il était le commanditaire et l'objet de la fête[9]. La plupart des comédies-ballets étaient présentées au château de Versailles, cependant, quelques unes telles que Le Bourgeois gentilhomme et Monsieur de Pourceaugnac furent présentées au château de Chambord[10]. De quoi pouvaient bien avoir l'air ces comédies-ballets?


Structure des comédies-ballets
Tout d'abord, il faut mentionner que les comédies-ballets étaient présentées à l'extérieur tant à Versailles qu'à Chambord. De plus, Molière a fait équipe avec, entre autre, les compositeurs Lully et Marc-Antoine Charpentier, le chorégraphe Pierre Beauchamp, les décorateurs et machinistes Charles Le Brun, Giacomo Torelli et Carlo Vigarani[11]. En effet, certaines comédies-ballets demandaient l'utilisation de machinerie. Lors de la présentation des Fâcheux, après que Molière aie fait son annonce, “ une coquille est voiturée jusqu'à la scène[12] ”. De cette coquille sortait une naïade qui récitait le prologue. De plus, un feu d'artifice clôtura le spectacle. Dans La Princesse d'Elide, dans le dernier intermède, tandis que des pasteurs et des bergères dansaient, “ il sortit de dessous le théâtre la machine d'un grand arbre chargé de seize faunes, dont les huit jouèrent de la flûte, et les autres du violon, avec un concert le plus agréable du monde[13] ”, selon la didascalie.

En ce qui concerne la danse, il y eu au cours du XVIIe siècle une évolution dans la représentation des ballets. Selon Charles Mazouer,

La troupe de Molière exécutait des danses de la deuxième conception. Ensuite, pour Molière, les intermèdes de ballet ornaient la pièce, ils l'agrémentaient. Les ballets devaient faire partie intégrante de la comédie. Les deux devaient se succéder naturellement, harmonieusement. Parfois, les intermèdes demandaient un changement de décor et d'autre fois, l'intermède se déroulait dans le même espace que la pièce. L'intermède pouvait être constitué de trois formes de langage : le verbe, le langage chorégraphique et le langage musical. Le verbe prenait la forme poétique et était en général destiné à être chanté. Le langage chorégraphique s'ajustait au rythme de la musique qui participait à la danse. La musique cherchait à produire son effet par le seul moyen des instruments[15].


Étude de cas avec Le Bourgeois gentilhomme
En effet, l'instrumentation intervient dans la pièce. Par exemple, dans Le Bourgeois gentilhomme, la scène des turqueries devait contenir des instruments “ à la turque ”, c'est-à-dire des cymbales, une grosse caisse, des triangles afin de lui donner une couleur orientale. Les instruments contribuaient à rendre la pièce drôle, mais le tempo et la rythmique, telle que les contre-temps et les déhanchements, pouvaient aussi favoriser la comédie. Néanmoins, ce qui rendait une pièce drôle était la transgression des normes, ceci était amusant pour le connaisseur. La pièce Le Bourgeois gentilhomme ouvre sur un élève de musique qui compose. Ce qui est amusant pour le spectateur c'est de voir ce jeune homme commettre des fautes musicales, juste devant lui[16]. La musique devait participer à la gaieté et à la variété de la comédie. Avant Molière, les musiciens étaient cachés dans des loges grillées, les spectateurs ne pouvaient les voir. Molière, tant qu'à lui, a fait paraître sur la scène les musiciens et les chanteurs[17]. Les instruments utilisés pouvaient être des violons, des trompettes, des hautbois, des clavecins, des tambours de basque, etc. Cependant, les partitions ne nous sont pas parvenues[18]. Il ne faut pas oublier que les costumes et les décors contribuaient à l'humour de la pièce. Bref, la danse et la musique permettaient de créer une atmosphère spéciale dans les comédies-ballets, c'est-à-dire qu'elles exerçaient sur celles-ci une influence intime et générale[19].

Le Bourgeois gentilhomme raconte l'histoire d'un bourgeois, monsieur Jourdain, qui aimerait bien s'élever au rang de noble. Il est emballé par tout ce qu'il peut apprendre. Il engage un maître de philosophie qui lui apprend toute sorte de chose. Cependant, comme monsieur Jourdain n'a pas beaucoup d'instruction, le maître de philosophie doit commencer par les bases, il lui apprend la sonorité des lettres, voyelles et consonnes; comment il doit placer sa langue, ses lèvres, etc. Ensuite, sur le conseille de son maître de musique et de danse, il décide d'organiser des ballets de façon hebdomadaire, car c'est ce que font les gens de qualité. Puis, monsieur Jourdain a des relations avec le comte Dorante qui lui emprunte beaucoup d'argent. Cet argent sert entre autre à séduire la marquise Dorimède. Monsieur Jourdain aussi aimerait bien séduire la marquise bien qu'il soit marié. Il lui fait parvenir des cadeaux par l'entremise du comte, toutefois, ce dernier fait passer ces cadeaux pour siens. Monsieur Jourdain a aussi une fille, Lucie, qui est en âge de se marier. Un jeune bourgeois du nom de Cléonte, épris de Lucie, demande sa main à monsieur Jourdain. Ce dernier lui refuse, car il préfère que sa fille épouse un noble. Un peu furieux de se refus, Cléonte imagine un plan afin de parvenir à épouser la femme qu'il aime. Il se fait passer pour un noble Turc, en fait pour le fils du Grand Turc. Ce fils du Grand Turc désir épouser la fille de monsieur Jourdain et, pour qu'elle soit de son lignage, il consacre monsieur Jourdain Mamamouchi, c'est-à-dire, paladin. Bien sûr, Lucie et madame Jourdain doivent être mises rapidement dans la combine afin que le plan fonctionne. Monsieur Jourdain tombe dans le panneau et accorde la main de sa fille à Cléonte. La pièce se termine avec le Ballet des nations.

Cette pièce était une commande du roi Louis XIV. Elle fut présentée à Chambord le 14 octobre 1670, à l'occasion des chasses[20]. C'est le roi qui demanda à Molière d'introduire dans sa pièce une “ Turquerie ”. Il semblerait que le roi appréciait fortement de voir la nation turque ridiculisée, car l'ambassadeur n'avait pas été très impressionné par le château de Versailles qui faisait pourtant l'orgueil du souverain. Selon Jacques Morel, la pièce se déroule dans la salle de réception, située au premier étage, de la maison de monsieur Jourdain. Le décor comporterait une ferme, “ c'est-à-dire un double châssis coulissant permettant d'agrandir la surface de la scène quand il en est besoin[21] ”. Selon Mazouer, Le Bourgeois gentilhomme est une somme et une apothéose du genre de la comédie-ballet, car “ la musique et la danse vont de soi dans la continuité de la comédie[22] ”. Cette comédie-ballet fut présentée au château, devant le roi et les nobles, et aussi à la ville, en l'occurrence Paris, au théâtre du Palais-Royal. Le public du théâtre parisien était hiérarchisé. Il y avait les nobles qui occupaient les loges et la scène[23] et les gens du parterre. Le parterre était occupé par les gens de la petite et de la moyenne bourgeoisie, suffisamment fortuné pour avoir des places, mais pas assez pour occuper les loges. Molière tenait compte de ces deux univers lorsqu'il présentait ses comédies-ballets et toutes les sphères y trouvaient leur compte. Le Bourgeois gentilhomme était une pièce qui fut fort appréciée par le public parisien si l'on en croit le registre de La Grange[24], un collaborateur de Molière. La pièce fut, premièrement, présentée au théâtre exactement comme elle l'avait été à la cour du roi[25]. Ensuite, les nobles appréciaient beaucoup pouvoir se moquer des bourgeois qui essayaient de s'insérer à leur rang, comme monsieur Jourdain. “ La leçon du Bourgeois gentilhomme ravissait sans doute le public de cour : la noblesse ne s'acquiert pas[26] ”. Puis, bien que Molière mette surtout en évidence les imperfections de la bourgeoisie, les bourgeois pouvaient rire des nobles qui ne montraient pas une image brillante d'eux-mêmes. C'est ici la force de Molière; il gardait une certaine liberté à l'égard de ces deux publics. Il proposait toujours, grâce à l'humour et la satire, qui permettaient une mise à distance, une vision contrastée où l'un comme l'autre des publics ne paraissait pas brillant. “ Molière a vu les tares de la noblesses comme les vices de la bourgeoisie[27]

Pour conclure, les comédies-ballets de Molières se distinguent des autres comédies non pas parce qu'elles unissent la poésie, la musique et la danse, mais parce qu'elles le font harmonieusement. Au XVIIe siècle, il y eu plusieurs tentative d'unir ses trois disciplines sur la même scène, mais aucune n'a atteint l'adresse de Molière. Les ballets de cour aussi mélangeaient poésie, danse et musique, mais ils étaient plus un divertissement qu'une œuvre d'art. Le ballet que Molière favorisait était celui ayant une conception stéréométrique, c'est-à-dire que les danseurs mettaient en valeur le mouvement des pieds et des genoux, les attitudes du corps, les cabrioles et les sauts. Par leur mimique et leur déhanchement, les danseurs faisaient rire les spectateurs. La musique aussi participait à la comédie entre autre par le tempo et la rythmique. Il semble que ce qui était vraiment drôle pour le spectateur était la transgression des normes établies. De voir un personnage commettre des erreurs en faisant quelque chose que les spectateurs étaient habitués de faire. La musique et la danse donnaient à la comédie une atmosphère particulière. Enfin, le roi commanda à Molière une comédie-ballet qui mettrait en scène une turquerie. Molière écrivit Le Bourgeois gentilhomme pour les chasses d'octobre 1670. Cette pièce fait une fusion, entre la comédie, la musique et la danse, pratiquement parfaite. Elle plaisait tant aux nobles qu'aux bourgeois probablement parce que chacune des classes pouvaient se moquer de l'autre. Toutefois, il est difficile de comprendre parfaitement pourquoi cette pièce fut si appréciée de ces deux sphères de la société.


Bibliographie

GENEST, Émile, La maison de Molière, Paris, Fischbacher, 1922, 330 p.

MAZOUER, Charles, Molière et ses comédies-ballets, Paris, Klincksieck, 1993, 280 p.

MOLIÈRE, Le Bourgeois gentilhomme, Paris, Librairie Générale Française, 1985, 192 p.

PELLISSON, Maurice, Comédies-ballets de Molière, Paris, Éditions d'aujourd'hui, 1976 [1914], 234 p.

Léon THOORENS (dir.), Le dossier Molière, Verviers, Gérard, 1964, 317 p.


Notes

[1] - Rédigé dans le cadre du cours Formes et fonctions du spectacle vivant 1 à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM), le 19 novembre 2010.

[2] Maurice PELLISSON, Comédies-ballets de Molière, Paris, Éditions d'aujourd'hui, 1976, p.36.

[3] Loc.cit.

[4] Ibid., p.37.

[5] Loc.cit.

[6] Ibid., p.38.

[7] Ibid., p.44.

[8] MOLIÈRE, Le Bourgeois gentilhomme, Paris, Librairie Générale Française, 1985, p.138.

[9] Charles, MAZOUER, Molière et ses comédies-ballets, Paris, Klincksieck, 1993, p.21.

[10] Loc.cit.

[11]Ibid., p.43.

[12] Léon THOORENS (dir.), Le dossier Molière, Verviers, Gérard, 1964, p.119.

[13] Charles MAZOUER, Op.cit., p.40.

[14] Ibid., p.86.

[15] Ibid., p.96-97.

[16] Ibid., p.130.

[17] Émile GENEST, La maison de Molière, Paris, Fischbacher, 1922, p.222.

[18] Loc.cit.

[19] Maurice PELLISSON, Op.cit., p.79.

[20] MOLIÈRE, Op.cit., p.7.

[21] Ibid., p.142.

[22] Charles MAZOUER, Op.cit., p.75.

[23] Ibid., p.51.

[24] Ibid., p.45.

[25] Ibid., p.47.

[26] Ibid., p.61.

[27] Ibid., p.64.