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Le cours d'Éthique et de culture religieuse : Est-ce neutre?



Paul Gosselin

J'ai une formation en anthropologie sociale avec spécialisation dans l'étude des religions, idéologies et systèmes de croyances. Une bonne part de mes recherches touche à la définition de la religion comme phénomène culturel. Mon dernier livre porte sur le système de croyances postmoderne et son influence en Occident. J'interviens en tant que protestant francophone, mais aussi en tant que parent, car j'ai deux enfants dans le système scolaire.

Pour ce qui est du cours d'Éthique et de culture religieuse que le Ministère de l'éducation des loisirs et du sport a intention d'imposer sur l'ensemble du réseau scolaire (primaire et secondaire, public et privé), je peux vous affirmer qu'en tant qu'anthropologue ce cours n'est pas neutre, mais constitue un exemplaire de la religion ou idéologie postmoderne, une idéologie bien répandue en milieu universitaire. Ça doit être un hasard que les gens impliqués dans la production de ce cours sont aussi des universitaires.


Qu'est-ce que le postmodernisme?
On peut comparer les religions de bien des manières, mais une approche fort instructive est d'examiner leur attitude à l'égard de la question de la Vérité. La majorité des religions traditionnelles ont un discours sacré qui leur est propre. Pour simplifier un peu, dans la tradition catholique, cela consiste à la fois dans la Bible ainsi que les déclarations du pape. Dans la tradition protestante, on s'appuie sur la Bible uniquement. Chez les musulmans, la référence est le Coran ainsi que les fatwas des imams.

Le système de croyances postmoderne rejette l'idée qu'il existe, à quelque part, une Vérité. Le désir et l'épanouissement de soi constituent le cœur du postmodernisme. Pour le postmoderne, l'individu est la référence ultime. L'individu est la seule vérité. Le postmodernisme, évite de s'identifier comme religion, car il s'agit de ce que les sociologues appellent une religion invisible[1]. Évidemment, chaque religion doit penser au recrutement. Le processus de conversion postmoderne vise avant tout l'acquisition de l'influence sur les grandes institutions sociales (non pas l'individu) et se fait au contraire de manière subliminale et inconsciente, présupposé par présupposé, doctrine par doctrine, artefact culturel par artefact culturel. Le cours d'ECR est un bon exemple de ce processus. On le voit dans le jargon manipulateur que devront subir les enfants.

Deux questions fondamentales se posent sur ce discours:

Ne vous attendez pas trop que nos élites s'empressent de répondre à ces questions. Ils préfèrent qu'on n'y pense pas trop... Le professeur d'histoire Robin Phillips note qu'en Occident il était question autrefois d'États paternalistes, aujourd'hui nous faisons face à des États maternalistes où l'attitude marketing et le contrôle du langage est fondamental (2008 : 33) :

John Saul offre ce commentaire cynique sur la tentation de contrôle du langage chez nos élites (1992: 9)

Ce discours manipulateur n'est pas sans rappeler les commentaires cyniques exprimés par George Orwell dans son roman 1984. Dans ce texte, il note (1950: 301) :

Contrairement aux idéologies matérialistes qui ont dominé le XXe siècle, le postmodernisme ne rejette plus de manière absolue le spirituel ou la religion traditionnelle. Le système postmoderne n'est donc pas ouvertement antireligieux, mais il faut bien comprendre son attitude. Si les générations passées avaient droit au cours de catéchisme où tous devaient accepter le même enseignement et les mêmes croyances, le postmoderne adopte plutôt l'attitude du consommateur. C'est un peu comme lorsque vous allez au restaurant-buffet. Vous prenez un plateau, ensuite une assiette et vous vous dites : Hmm, ce soir, un peu de chinois serait bon, tiens un taco et du couscous, ça me tente aussi. Ah, une pointe de pizza et un souvlaki, pourquoi pas ! Bof... je ne sais pas pourquoi, mais j'ai une envie de poutine aussi...

Et bien le postmoderne approche la religion exactement de la même manière pour se faire une religion sur mesure. Il rejettera complètement l'idée qu'un autre, que ce soit une hiérarchie religieuse ou une tradition culturelle, puisse déterminer ce qu'est la vérité pour lui... Comme on le dit dans le langage courant : chacun a sa vérité. Dans le jargon technique, on appelle cela le relativisme culturel et cela implique le présupposé qu'il n'existe pas de vérité sinon à titre d'artefact culturel uniquement.

Si on met de côté les subtilités anthropologiques, le fait d'aligner dans un même cours Bouddha, Jésus, Mahomet et le Carcajou amérindien implique que bientôt dans l'ensemble du système scolaire québécois on imposera aux enfants un cours de religion polythéiste. En tant que protestant, je demande un accommodement raisonnable. Ce que peu de gens savent est que le cours d'Éthique et de culture religieuse est une version recyclée d'un cours proposé en France par l'intellectuel Régis Debray. Le Français n'ont pas voulu tenter l'expérience, mais nos élites n'ont pas hésité à faire de tous les Québécois leurs cobayes... Cela est facilité par le fait qu'ils n'ont pas à nous demander notre avis.


Le droit au choix
Jusqu'à récemment, le système d'éducation au Québec tolérait sans problème et sans danger de s'effondrer le choix et la différence. Dans le réseau public les enfants avaient accès aux cours de religion catholique, protestant et de morale et dans le réseau privé aux cours de religion évangélique, judaïque, musulmane, amérindienne et qui sait quoi d'autre. Et quel est le résultat? On a une société où les gens se côtoient sans frictions majeures. En tout cas, la société québécoise se compare assez bien à la France où ils doivent faire face à des émeutes éthniques récurrrents. Et tout à coup des fonctionnaires du MELS nous disent qu'il faut un SEUL cours pour tout le monde!

À qui ça va servir d'éliminer tous ces choix? Qui en profite? Pas les parents en tout cas. Les élites médiatiques et éducationnelles semblent d'accord pour affirmer que la pensée unique postmoderne est essentielle pour le bien-être des Québécois sinon la société va exploser en violence! Pourquoi une telle affirmation? On dirait que la source véritable de crainte pour certains est de se retrouver dans une situation de CHOIX où nos élites perdraient le monopole idéologique absolu sur la génération montante qu'ils sont sur le point d'acquérir... Gary Caldwell qui ne pouvait pas être présent ce matin a fait une affirmation un peu choquante, mais appropriée dans le contexte qui nous intéresse (2000 : 23) :

Dans la perspective postmoderne il n'y a qu'une seule manière de voir les choses qui soit crédible et toute dissidence est non seulement rejetée, elle est méprisée. On n’a qu’à penser à des questions telles que le réchauffement de la planète, aux droits des gais ou le droit à l'avortement. Sur ces questions et sur bien d'autres, on a le choix entre l'illumination et puis l’autre côté imbécile, voir les ténèbres. Les centres de pouvoir postmodernes ce sont les médias, l'industrie du divertissement et des milieux universitaires sont tous sous l’emprise d’une hypocrisie manifeste. Nous faisons face donc à une idéologie qui prêche la liberté de pensée et d'expression en toute occasion, mais qui pratique l'intolérance absolue vers toute dissidence.


Références



Boisvert, Yves (1999) Postmodernité et religion: L'éthique est-elle une nouvelle "religio" civile au service de la démocratie postmoderne ? Religiologiques, no. 19 printemps

Caldwell, Gary (2000) La résilience, cette capacité de résister aux chocs et de rebondir. pp. 16-24 RND / octobre

Debray, Régis (2002a) L'enseignement du fait religieux dans l'école laïc. Ed. Odile Jacob

Debray, Régis (2002b) L'institution républicaine et laÏque doit s'emparer de l'étude du fait religieux comme la clé d'un enseignement ouvert à la complexité et à la tolérance.

Gosselin, Paul (2007) Écoles laïques, écoles neutres: Légende urbaine ?

Gosselin, Paul (2006) Fuite de l'Absolu: Observations cyniques sur l'Occident postmoderne, volume I. Samizdat Québec 492 pages

Gosselin, Paul (2006) Acquérir la pertinence: Cosmologie et anthropologie. (Présentation faite à l'Assemblée général de l' Association des anthropologues du Québec, le 28 mai 2006 à Sainte-Foy, Québec)

Gosselin, Paul (2001) Lettre ouverte à monsieur François Legault (Élimination des écoles franco-protestantes). juillet

Luckmann, Thomas (1970) The Invisible Religion. MacMillan New York 128 p.

MELY, Benoît (2002) Est-ce à l’école laïque de valoriser "le religieux" ? Observations critiques sur le rapport Debray. les Cahiers Rationalistes, (sept.-oct.) - n° 560

Phillips, Robin (2008) Mother State or Mother Church? pp. 32-47 C&S vol. 18 no. 1 April

Saul, John Ralston (1992) Voltaire's Bastards : The Dictatorship of Reason in the West. Penguin Books


Notes

[1] - Voir à ce sujet, Luckmann (1970).

[2]- Aidé des médias, il va sans dire...