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Samizdat

Le silence des agneaux[1].








Paul Gosselin (2008)

Récemment un missionnaire québécois qui œuvre en Afrique est passé dans mon assemblée. Comme c'est l'habitude des missionnaires, il a fait état de ses réalisations et projets, mais après quelque temps il s'est permis quelques réflexions plus sérieuses, en comparant l'état de l'église en Afrique à celle du Québec. Entre autres il a noté qu'avec la majorité musulmane où il travaille, les évangéliques là-bas doivent jouer du coude pour se faire entendre et il notait que les évangéliques d'ici acceptent beaucoup trop facilement leur état de marginaux. Effectivement, on n'entend pas le point de vue évangélique sur la place publique ici au Québec. On est bien trop confortable dans le petit ghetto que les élites postmodernes, si attentives, ont créé pour nous...

J'ai bien apprécié cette présentation ainsi que les questions que le missionnaire a posées. Effectivement les évangéliques d'ici ont accepté de se voir repousser de la scène publique. Le missionnaire a bien fait de nous lancer un défi pour une réflexion sérieuse à ce sujet.

Mais j'en lance une à mon tour. À mon avis, sur ce plan les chrétiens ordinaires ne font que reproduire l'exemple du comportement de leurs pasteurs... Je suis chrétien né de nouveau depuis 1975 et j'ai TRES rarement vu des pasteurs prendre position sur des questions d'ordre public, des questions qui concernent la vie hors des quatre murs de l'église. Dans plus de trente ans de vie chrétienne, je pense que je peux me souvenir de deux interventions par d'un pasteur des Assemblées de la Pentecôte du Canada. Et de la part de la direction francophone des AdPC, c'est NULLE! Sur l'avortement, l'éducation, le mariage gai c'est NULLE! Aucune prise de position publique, aucun communiqué de presse. Mais je ne cherche pas à taper particulièrement sur les pentecôtistes. Je tends l'oreille ailleurs, dans d'autres églises évangéliques, et c'est le même silence... Les exceptions sont rarissimes, bien trop rarissimes...

On aime beaucoup trop le confort de notre ghetto. N'est-ce pas un idole sur nos autels ? Pointer du doigt les chrétiens ordinaires est un peu trop facile à mon avis... C'est très gênant pour un chrétien de voir les évêques catholiques régulièrement prendre position sur des questions sociales et devoir comparer ça au silence profond de nos leaders évangéliques... Cet état des choses est honteux!

Si on m'affirme que les pasteurs doivent s'occuper de choses "spirituelles" alors à mon avis il y a là une compréhension très erronée de ce qui intéresse Dieu. Parfois nos attitudes ont été formées par une théologie très étroite qui ne s'intéresse qu'à la fin du monde et crache avec mépris sur le monde qui va périr "de toute manière". Ce n'est certes pas l'attitude du Sauveur qui a pleuré sur Jérusalem et qui est venu pour sauver ce qui pouvait être sauvé... Il aurait très bien pu dire à notre sujet : “ Merde, ils vont en enfer de toute manière alors pourquoi mourir pour eux? ” Ce que l'on ne réalise pas c'est que si les évangéliques du 18e siècle avaient adopté une attitude aussi superficielle que la nôtre, l'esclavage existerait toujours en Occident. Car ces mêmes évangéliques ont été au coeur de la bataille pour éliminer l'institution de l'esclavage. Ils n'ont pas eu peur de remettre en question les idéologies dominantes du temps[2]. Les Écritures nous disent que l'Église a été mise sur terre pour servir de sel dans chaque génération. On nous dit aussi que le sel qui ne sert de rien est bon pour être jeté dehors et foulé aux pieds. Donc si le sel ne sale pas, le jugement l'attend. Qu'en est-il de notre génération de chrétiens?

Évidemment certains vont rejeter de telles questions. "Business as usual" c'est tout ce qui compte... Aux autres qui se sentent interpellés, je dois donner un avertissement. La ghettoïsation des évangéliques rends bien sûr la vie "facile" aux évangéliques, mais il fait très bien l'affaire de nos élites postmodernes aussi, car cela leur laisse le monopole du discours sur la place publique.

On m'as déjà posé des questions sur mon cheminement entre la foi et la prise de position sociale. Voici ma réponse :

J'ai fait des études en anthropologie sociale et je suis chrétien évangélique depuis 1975. Possiblement l'influence de Francis Schaeffer (et C.S. Lewis), mais même dans la famille (très catholique) où j'ai été élevé, mes parents étaient, à leur manière, activistes anti-avortement et vers 1971 j'ai participé à une démonstration contre l'avortement devant la clinique d'avortement Morgantaler à Montréal (clinique d'avortement illégal à l'époque...). Pour résumer, je crois que la vie chrétienne ne s'arrête pas à la sortie de l'église. Je pense aussi que ma perspective créationniste y contribue aussi, car je crois que toute la Création est l'œuvre de Dieu et que le chrétien a le droit de s'intéresser à tout[3] (à moins d'interdit formel de la part des Écritures). Ceci implique qu'il aura des comptes à rendre aussi pour TOUS les aspects de sa vie... incluant sa vie intellectuelle.


L'évolution de notre situation
Les conditions sont connues: au cours du 20e siècle, la crédibilité du christianisme ET des chrétiens ont été attaquées et malmenés par diverses institutions! Les models de contact qui ont servi la croissance marquée des assemblées évangéliques au Québec des années '70 n'ont plus le même impact... lorsqu'ils sont encore permis par les tribunaux selon l'interprétation des lois!! On est de plus en plus coincés dans notre ghetto. Le contact personnel, au travail, dans le voisinage des croyants sert encore de moyen d'évangélisation et c'est le seul qui semble fonctionner toujours. Tant mieux! Mais doit-on déduire que c'est le seul qui reste ou même le seul que nous devions utiliser. Quelles sont les attentes de Dieu?

À chacun de prier là-dessus, bien sûr! Et le Seigneur répondra! Mais, y aurait-il une réponse qui se dessine déjà, dans nos réflexions, nos discussions et dans les faits??!!! En quoi le christianisme et le chrétien ont-ils été attaqué au Canada et particulièrement au Québec?

Que penseriez-vous de l'affirmation suivante : “ Les chrétiens ont été exclus du débat public en les ridiculisant et en convainquant la population que le christianisme est dépassé, incohérent, néfaste et même dangereux dans certains contextes (...comme le milieu éducatif...) ” Qui aurait pu faire une telle chose? Une loi? ...pas vraiment, la tolérance religieuse est “ officiellement ” exigée ici par la Charte des droits et libertés du Canada. On peut cependant utiliser une définition de la religion qui la laisse sans aucune protection dans le discours public en la reléguant à un “ domaine privé ” qui tient plus du mutisme total que de la pratique quotidienne d'un système de valeurs et sa promotion!!! Donc, les mots n'ont pas changé dans la loi, mais leur “ sens commun ” n'est plus le même!!!

Qui a pu opérer un tel prodige! La “ place publique ”, l'endroit où tous se rencontrent et échangent idées et concepts,... des nouvelles comme on disait à l'Aréopage d'Athènes du temps de l'Apôtre Paul! Mais qui occupe la place publique aujourd'hui?

Les médias, de toute évidence!

C'est là que se “ débattent ” les projets politiques, sociaux, moraux, éthiques, culturels de toute société industrialisée. Les journaux, les media électroniques ne sont pas ouverts aux chrétiens et ils le savent désormais! On a donc muselé l'Église et on la décrie sans qu'il y ait possibilité de réplique réelle. Il ne faut donc pas se surprendre de l'audace de certains politiciens quand ils modifient des lois qui sont bien loin d'avoir l'assentiment de la population (avortement d'abord et, plus près de nous, le mariage gai). Si les médias collaborent en publiant des “ sondages ” et des informations qui peuvent être biaisés (spin), les législateurs et les hautes instances juridiques peuvent prétendre que “ nous sommes rendu là ”! Lorsqu'on déconstruit ce genre d'affirmation ça veut dire que: Nous (les élites postmodernes) on peut faire ce qu'on veut et personne ne peut s'opposer sérieusement à nos plans pour la société!

Comment peut-on en être venu à voir le Christianisme comme une "vie" qui se passe avec "notre petite clique", à se médire l'un l'autre d'ailleurs? Comment se fait-il que nous soyons devenus invisibles dans la société et même dans nos milieux de travail et à n'oser entrer en contact avec quelqu'un que lorsqu'on a une chance de le faire entrer dans notre ghetto, pour qu'il contribue à son entretien et à nos petites activités internes? Mêmes les "croisades d'évangélisation" se font devant 90% ou 95% de chrétiens, quand ce n'est pas 100%.


D'autres aspects de la chose
Dans le mouvement évangélique (et dans ce cas-ci, je pense particulièrement aux Pentecôtistes et aux Baptistes), le pasteur joue un rôle central dans son église. Il est très courant que le pasteur ait un droit de veto effectif sur tout ce qui se passe dans son église. Bien qu'il ne puisse tout réaliser, dans bien des églises évangéliques il est perçu comme “ normal ” que le pasteur ait le dernier mot sur tout. Cette attitude existe depuis plusieurs générations. Dans ce contexte, les laïques impliqués dans la vie de l'église ne sont jamais perçus comme des collègues, c'est-à-dire au même niveau, car ils n'ont pas passé par le collège biblique et ne “ pensent pas comme des pasteurs ”... Mais ces mêmes collèges bibliques ont tendance à inculquer aux candidats au pastorat que la vie chrétienne se passe uniquement entre les quatre murs de l'église. La vie de l'église (au sens étroit) est la seule chose qui intéresse. La seule exception évidemment, c'est l'évangélisation, mais pour le reste, oubliez ça... Vu la combinaison de ces deux facteurs (exclusion des laïques dont les compétences pourraient les équiper pour traiter de questions sociales et l'accent mis par les collèges bibliques sur la vie de l'église), cette attitude tend à mettre des ornières sur les yeux de nos dirigeants et étouffer la voix des évangéliques dans nos sociétés francophones. Et le fait de repousser une délégation réelle des responsabilités dans l'église nous éloigne, à mon avis, de modèle du Nouveau Testament où les anciens jouent un rôle fondamental et important, plutôt que constituer un comité de yes-men qui ont comme seule fonction d'appuyer le pasteur dans SES décisions. Pourtant dans le Nouveau Testament ce sont les anciens qui dirigent et non le pasteur[4].

Mais les médias ne sont pas les seuls responsables de la situation marginalisée des évangéliques. Un autre facteur qui contribue à notre immobilisme et à notre silence est une fausse conception de la vie chrétienne. Une des manières d'exprimer cette conception chez nous ce sont les affirmations du genre : “ Il faut être séparé du monde afin de ne pas se souiller avec l'esprit du monde ”. Cela aboutit à soit une diabolisation du monde (des activités laïques) ou encore un mépris de ces activités, perçu comme sans intérêt[5]. Et lorsque cette fausse conception devient dominante dans nos églises, elle étouffe toute créativité qui ose sortir des sentiers battus... Sur le plan culturel, l'Église vit alors au 18e s. comme les Amish ou encore en 1850 ou, avec un peu de chance, en 1950... À mon avis cela représente une assimilation inconsciente par les évangéliques de concepts néo-platoniciens. Chez Platon, le monde matériel était méprisable et seules les choses spirituelles ou abstraites (comme la géométrie) étaient dignes d'attention.

Cette influence platonicienne se manifeste dans l'attitude évangélique qui laisse entendre que les seules activités professionnelles dans auxquelles un chrétien puisse participer, sans culpabilité aucune, sont les activités dites spirituelles comme le pastorat ou l'évangélisation (ou, pour le sexe féminin, le rôle de mère de famille). Tout le reste est plus ou moins suspect, sinon sans importance réelle. Même la science, puisqu'on y étudie le monde matériel, a été boudée par bien des évangéliques de la première moitié du XXe siècle[6]. Au sujet du réveil évangélique (surtout pentecôtiste) en Amérique latine, Pedro Moreno, pentecôtiste lui-même, fait les remarques suivantes sur des attitudes qu'on retrouve couramment chez bon nombre d'évangéliques d'Amérique latine (1997: 33-34):

Les seules personnes qui effectuent vraiment le travail de Dieu et qui jouissent de son plein appui sont les évangélistes, les pasteurs, les professeurs, les prophètes et les apôtres. Des laïques, tels que les charpentiers, les femmes au foyer, les médecins et les politiciens, lorsqu'ils deviennent pentecôtistes, risquent devenir des citoyens de deuxième classe dans le royaume de Dieu. Puisqu'ils ne se mesurent pas à la pleine volonté de Dieu pour eux, leur seul espoir est d'entrer dans le ministère un jour. En attendant, s'ils veulent racheter au moins partiellement leurs qualifications, leurs capacités professionnelles ou leur métier, ils devront les utiliser comme outils pour l'évangélisation. Les études, les professions et un métier ne sont acceptables que dans la mesure où ils permettent la prédication de l'Évangile hors des murs de l'Église.*

La réalité du ghetto évangélique[7] s'exprime aussi dans l'attitude, implicite ou explicite, affirmant que seules les activités se déroulant entre les quatre murs de l'Église (exception faite de l'évangélisation et de la procréation possiblement...) sont réellement importantes. Poussée à l'extrême, cette attitude prend parfois la forme d'une obsession avec les temps de la fin et l'Apocalypse. De manière subliminale, on crie "Viens nous sortir au plus tôt de ce monde mauvais" (sinon « Enlève-nous cette responsabilité de jouer notre rôle de sel de la terre dans cette génération corrompue »)! On cherche à fuir la réalité, on cherche une porte de sortie et le plus tôt possible, se sera le mieux.

Pour bien des évangéliques francophones, l'activisme social fait penser immédiatement aux frasques des évangéliques Américains, genre Moral Majority. Dans les années 1980, les évangéliques américains ont voulu s'impliquer sur le plan politique, mais dans bien des cas cela a fait d'eux les pions du parti Républicain qui ne se souciait guère de leurs préoccupations, juste de leur votes et de leur fric. Mais ce n'est pas du tout au modèle du Moral Majority auquel je pense. De toute manière, lors d'un voyage dans le sud-ouest du US il y a trois ans j'ai constaté que même les évangéliques là-bas devenaient de plus en plus critiques à l'égard du parti Républicain... et se rendait compte qu'il s'agit bien plus d'une partie au service des intérêts industriels et économiques qu'évangéliques...

Les francophones ont souvent des réactions extrêmes face aux évangéliques américains. Ou bien on verse dans l'admiration inconditionnelle, sans critique ou encore on verse dans un mépris tout aussi inconditionnel. Assurément les évangéliques Américains font parfois des choses imbéciles (comme le sénateur Pat Robertson qui a affirmé qu'on devrait faire descendre César Chavez, président du Venezuela...), mais on ne peut les accuser de mettre leur lumière sous un boisseau. Pas besoin d'utiliser leurs méthodes pour admirer leur courage... Pour nous les évangéliques francophones, on peut être actifs, mais à notre manière...

Je ne pense pas qu'il faille engager de gros moyens pour faire quelque chose et influencer notre génération. Il faut d'abord simplement s'engager à être le sel de la terre dans la société où Dieu nous as mis (plutôt que vivre pour une fin du monde qui ne vient pas à l'heure qu'on a prévue). Si on traite avec les médias, il peut être utile parfois d'avoir des notions en communications, mais je soupçonne que parfois ça peut nuire aussi. Je n'ai pas une confiance aveugle dans les avantages d'une formation universitaire, car souvent ça produit des gens endoctrinés par des concepts postmodernes[8] d'ouverture et qui ont trop de confiance dans des recettes et des outils techniques... Réfléchissez : au début du processus de ta conversion, aurais-tu fait confiance à Jésus s'il avait engagé une firme de marketing pour te toucher?


Conclusion
Le message de l'Évangile dans nos milieux évangéliques est trop souvent perçu comme se réduisant à une recette pour aller au ciel et RIEN d'autre. Cela nous a aveuglé sur l'enjeu suprême qui était et qui demeure toujours la rédemption de la création déchue de Dieu. L'influence d'un certain dualisme très tôt “ christianisé ” dans l'histoire de l'Église nous a peut-être conduits à mépriser la vie réelle. Une forme de nihilisme s'est installée dans le message. L'autre extrême, l'Évangile social, nous a aussi rattrapés plus tard. Il faut garder notre message le plus équilibré que possible et ne pas oublier, lorsqu'on prêche l'Évangile, que Dieu était en Jésus-Christ, réconciliant le monde à lui-même. Comme l'apôtre Paul le dit : “ Ce plan, il l'a fixé d'avance, dans sa bonté, en Christ, pour conduire les temps vers l'accomplissement. Selon ce plan, tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre doit être réuni sous le gouvernement du Christ. ” (Éph. 1: 9-10)

Mais il ne faut pas se leurrer que si des dirigeants évangéliques prennent position sur des questions de l'heure comme l'avortement, le mariage gai, l'euthanasie, cela va provoquer l'irritation de nos élites qui ont prit l'habitude de jouir d'un monopole du discours sur la place publique. Ils VONT réagir! Alors si vous levez la tête hors du tranché pour ouvrir la bouche et jouer votre rôle de “ sel de la terre ” dans notre génération, tôt ou tard vous serez la cible des tirs à la fois de la part des médias et de leurs "experts", mais aussi de la part d'évangéliques qui veulent que les choses restent "comme avant". Ces évangéliques, qui ne veulent pas trop “ déranger ” le monde, vont vous "encourager" de vous occuper de choses "spirituelles"... Ils aiment mieux leur confort que défendre la vérité. Cela fait un contraste plutôt violent avec les premiers chrétiens qui eux ont bouleversé, à grand prix, leur monde, leur génération. (Actes 17: 6)

Il y aura donc un prix à payer pour gagner notre liberté. Il faudra la prendre, la gagner, personne ne nous la donnera... Il faut noter que sur un plan très concret, très pratique, que si un chrétien ordinaire prends une position risquée sur une question sociale importante (homosexualité, avortement, euthanasie, etc.) et qu'il perd son emploi, il est SEUL. Les autres chrétiens ne songeront pas de l'aider (à moins qu'il soit pasteur). Cela renforci l'attitude de nombreux chrétiens laïques de fermer leur boite dans leur milieu de travail et se conformer aux idéologies du monde, pour sauver sa job... Il faut bien comprendre les lacunes actuels de la communauté dans nos églises évangéligiques. Le coeur du problème me semble être le fait que l'on ne s'identifie à rien d'autre que son nombril et que la communauté n'existe pour répondre à "mes besoins".

Parfois on peut se demander comment repousser l'influence postmoderne qui nous arrive de toutes parts Un moyen d'intervenir et faire connaître une perspective chrétienne serait par le biais des arts et de la créativité. Mais souvent dans nos milieux évangéliques, on a développé des créneaux très étroits d'art et pour le reste on est simplement des cibles passives. On se demande donc comment repousser l'influence postmoderne qui nous arrive de toutes parts? Peut-on entrer en compétition avec Hollywood ou les chaînes de télévision nationales avec toutes leurs ressources? La réponse honnête est simplement : non, on ne le peut pas (surtout dans le contexte francophone)[9]. Vous avez tous dû entendre parler de l'histoire de Moïse devant le buisson ardent. Dieu lieu demande qu'as-tu dans la main? Bon, Moïse a dû lui répondre, “ Ah ça? C'est un simple bout de bois. Je m'appuie dessus lorsque je suis fatigué. Je l'utilise pour garder mes moutons dans le bon chemin et au besoin, je l'utilise pour taper sur les loups aussi. Mais Moise a donné à Dieu ce bout de bois tout à fait ordinaire et Dieu en a fait des choses extraordinaires...

Mais Dieu nous demande aussi, « Qu'as-tu dans ta main? » un programme de traitement de texte? Une caméra vidéo, un canevas et des huiles, une guitare, des outils pour travailler le bois, des capacités d'inventer des mécanismes, du talent dans la cuisine, des talents mathématiques, un logiciel d'édition vidéo, le goût d'écrire des poèmes? Qu'as-tu dans ta main? Donne ce que tu as dans la main à Dieu et l'on verra. Dieu seul sait ce qui peut arriver lorsqu'on lui donne nos faibles ressources. Vous vous dites, “ Moi? Ah, je ne ferai jamais rien de bon! ” C'est vite dit, mais les Écritures nous disent de ne pas mépriser les faibles commencements (Zac 4:10). Pensez un moment aux esclaves noirs sur les plantations de coton aux États-Unis au 18e siècle, dépossédés de tout, et pourtant on chante encore leur spirituals. Alors ne dites jamais ça ne peut rien changer, ne rien influencer...

Ceci dit il faut nuancer. Je ne crois pas qu'un réveil artistique évangélique soit LA solution magique à tous nos problèmes. Étant donnée le problème de la théologie superficielle dans nos églises, il faut s'attendre à ce que si on ouvre la porte à la créativité dans nos églises, il ne faudra pas s'étonner que cela ouvre aussi la porte à l'expression de toutes sortes d'idées confuses et théologiqument superficielles. Rien d'étonnant, car les Écritures nous affirment que la bouche parle de l'abondance du cœur. Si le cœur de nos artistes (ou de nos pasteurs) est plein de théologie superficielle, alors il ne faut pas s'attendre qu'ils expriment autre chose. Il faudra donc faire preuve de patience et faire le tri dans tout ça. Mais si on persévère à encourager la créativité des chrétiens et qu'on corrige la situation dans les églises en rejetant la théologie superficielle, on aura des chances de renverser la vapeur. Sinon pour se couper de l'influence de la culture dominante on peut faire comme les Amish et tenter de vivre comme au 18e siècle en rejettent la télévision, l'Internet, le téléphone, le cinéma, les cellulaires/mobiles, les fours micro-ondes et toute la technologie et la culture moderne... Est-ce une option qui intéresse beaucoup de monde ?

Pour ce qui est de nos associations d'église, je crois qu'il faut commencer à la case départ, s'intéresser aux choses qui se passent dans notre contexte culturel, dans notre société. Comme le prophète a dit: « Recherchez le bien de la ville où je vous ai menés en captivité, et priez l'Éternel en sa faveur, parce que votre bonheur dépend du sien. » (Jer 29: 7). Il faut cesser d'ignorer le monde qui nous entour, sinon les voir comme des statistiques de convertis potentiels pour rentabiliser nos églises. Et pour aiguiser notre sens critique, on peut s'appuyer sur les prises de position que d'autres chrétiens du passé ont pu faire. Des penseurs chrétiens tels que CS Lewis, Francis Schaeffer, Nancy Pearcy, Os Guinness et d'autres. Il faut accepter de faire des gaffes, accepter nos limites, mais il faut aussi accepter notre responsabilité d'être le sel de la terre dans notre génération. La direction des associations d'églises a accès à des ressources et peut évidemment en profiter pour faire des communiqués de presse ou publier des prises de position sur le web.

Évidemment lorsqu'une association d'églises contact les médias, cela risque d'avoir plus de poids que si c'est l'initiative d'un chrétien solitaire, appuyé de personne d'autre. On peut faire entendre nos voix. Certes il y aura des efforts qui sembleront avoir peu d'effet, mais si on ne fait rien, il est garanti que l'effet sera nulle. Les Écritures nous encouragent: « Jette ton pain sur la face des eaux, car avec le temps tu le retrouveras; » (Ec 11:1 ) Déjà, dans la génération qui prends fin, on a plutôt raté notre chance d'avoir une influence sur la question de l'avortement. Et dans les années à venir, on devra faire face aux défis d'un système d'éducation de plus en plus postmoderne (et anti-chrétien), de l'euthanasie et des développements des biotechnologies. Ce seront des défis de taille pour lesquels ont est mal équipés, mais pour le moment soucions nous de prendre conscience de notre responsabilité et faire ce que l'on peut. Confions nous en Lui pour le reste.

Que Dieu nous garde et nous secours!



Notes

[1] - Merci des commentaires de Jeff Laurin.

[2] - Dans une lettre adressée à l’empereur Alexandre de France, Wilberforce plaide la cause de l’abolition de l’esclavage en France et, à ce titre, justifie sa requête en invoquant ses convictions religieuses (1822):

Décriant la religion hypocrite des marchands d’esclaves, Wilberforce note (1822):

pour le texte complet, voir Lettre à l'empereur Alexandre [France] sur la traite des noirs; par William Wilberforce, membre du Parlement britannique. 1822:

[3] - Pour ceux qui se questionnent à ce sujet. je recommande FORTEMENT le livre (en anglais) de Nancy Pearcey Total Truth : Liberating Christianity from its Cultural Captivity (Crossway Books, 2004) . Il faut lire. On peut lire avec profit aussi l'essai de Robin Phillips Mother State or Mother Church? pp. 32-47 dans Chistianity and Society, Volume XVIII, No. 1 (Summer, 2008). Autre truc intéressant, voir Quand les prédicateurs gardent le silence, par Dave Daubenmire

[4] - Un seul exemple nous servira ici. Dans le livre des Actes lorsque l'apôtre Paul fait son dernier voyage missionnaire et qu'il veut rencontrer les dirigeants des églises avant sont arrivée à Jérusalem, qui rencontre-t-il? Ce sont les anciens et non les pasteurs! (Actes 20 : 17)

[5] - Evidemment pour cela il faut "oublier" Jean 3 : 16.

[6] - Elle a été boudée pour d'autres raisons aussi, car l'idéologie matérialiste, à laquelle participent un grand nombre de scientifiques, a été un autre obstacle et objet de critiques.

[7] - Question qui a été abordée longuement dans mon livre Hors du ghetto (2003), particulièrement aux 3 premiers chapitres.

[8] - Le système de croyances postmoderne est examiné dans la série Fuite de l'Absolu.

[9] - Cela sera certainement vrai que si l'on exige d'avoir accès aux mêmes ressources et aux mêmes méthodes (comme l'attitude de Saul devant Goliath, qui tente de convaincre David qu'il DOIT prendre son armure, son épée...).