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Samizdat

L'hérésie colossienne







Daniel Audette

Nous étudierons ici ce que les spécialistes bibliques ont l'habitude de nommer l'hérésie colossienne. Comme le souligne Daniel Furter, “ la nature de l'erreur que combat la lettre aux Colossiens a exercé la sagacité des chercheurs[1] ”. Cette hérésie est en effet difficile à cerner, et cela demande un certain labeur afin de parvenir à l'identifier. Est-ce que l'état actuel des recherches permet de croire que le problème de l'hérésie colossienne est enfin résolu ? Comme le lecteur pourra le constater, ce n'est pas chose aisé que de donner une réponse précise à cette question. Néanmoins, nous nous efforcerons tant bien que mal d'y répondre.

Nous présenterons dans un premier temps un survol historique de la ville et de l'Église de Colosses. Le contexte historique doit en effet commander le travail d'exégèse. Nous chercherons ensuite à découvrir ce en quoi consiste l'hérésie que l'apôtre Paul combat dans l'épître. Après quoi, en jaugeant de façon rétrospective ce qui a été dit sur le sujet, nous serons en mesure d'émettre une opinion critique quant à l'état actuel des recherches à propos de cette fausse doctrine. Mentionnons toutefois qu'il ne s'agit pas ici d'un commentaire biblique, mais d'une introduction à l'Épître de Paul aux Colossiens, concentrée cependant sur un seul élément : l'hérésie colossienne.


Contexte historique et religieux

L'origine de l'Épître aux Colossiens

Selon les théologiens évangéliques, c'est bien l'apôtre Paul qui est l'auteur de l'Épître aux Colossiens, comme l'indique la salutation[2]. Si l'on s'en tient à la thèse traditionnelle, il aurait rédigé[3] cette lettre aux environs de l'été 62, c'est-à-dire vers le milieu de sa première captivité romaine[4]. C'est à Tychique et à Onésime que l'apôtre avait confié la charge de porter cette missive à l'Église de Colosses (cf. Col 4.7-9)[5].

 

La ville de Colosses

“ Dans un site d'une beauté alpestre, que domine le Mont Cadmus couronné de neiges éternelles, seuls les vestiges d'un théâtre et d'un [sic] acropole, parmi des ruines éparses[6] ”, signalent encore la ville de Colosses, située au bord du Lycus, affluent du célèbre Méandre[7], dans le sud-ouest de la Phrygie[8]. À quelque deux cents kilomètres à l'est d'Éphèse, cette ville de l'Asie Mineure était placée à un point stratégique de la route qui menait d'Éphèse vers les provinces orientales (Pisidie, Lycaonie, Cilicie, Syrie, etc.)[9] : “ En effet, à sa hauteur, la vallée du Lycus se resserrait pour former une gorge assez étroite de 16 km de long. Au sud de la ville, le Mont Cadmus dominait le paysage de ses 2400 m. Colosses commandait donc l'accès au col menant vers les hauts plateaux[10]. ”

Colosses était autrefois une ville très importante. Xénophon en a parlé comme d'une cité “ populeuse, riche et vaste, confirmant ainsi le témoignage d'Hérodote, qui parlait, dès le 5e siècle av. J.-C., d'une ‘‘grande ville de Phrygie''[11] ”. Mais, au 1er siècle, en raison des nombreux changements du système routier, elle n'est plus qu'une petite cité insignifiante : les villes voisines, Laodicée et Hiérapolis (toutes deux mentionnées en Col 4.13), distantes d'environ 16 et 21 km, la supplantèrent et s'enrichirent. Elle était cependant, à l'instar de Laodicée, qui était devenue “ l'une des cités les plus riches de l'Asie[12] ” (cf. Ap 3.14-22), renommée pour sa belle laine aux teintes excellentes[13]. “ Les inscriptions mentionnent des corporations de teinturiers à Laodicée et Hiérapolis et l'adjectif kolossénos désignait une laine teinte à Colosses[14]. ”

Aux temps apostoliques, les Juifs étaient très nombreux dans la région. C'est à Antiochus le Grand (223-187 av. J.-C.) que l'on doit l'immigration dans la Phrygie et la Lydie de deux mille familles juives en provenance de Mésopotamie. Beaucoup de ces familles étaient spécialisées dans la teinture de la laine. Quelques-unes d'entre elles avaient même réussi à prospérer. L'excellence de la région pour l'élevage des moutons a sans aucun doute ouvert la porte à un commerce fructueux. Mais si les affaires rencontraient un tel succès, c'est aussi parce que la présence de ces familles juives dans cette contrée attirait d'autres coreligionnaires, avec qui elles pouvaient facilement commercer[15].

Comme partout dans le monde antique, un important effectif d'esclaves côtoyait la classe des hommes libres et celle des affranchis. Onésime, par exemple, représentait à Colosses le bas de l'échelle sociale, tandis que son maître Philémon appartenait à la catégorie des riches propriétaires[16].

Au temps de l'apôtre Paul, Colosses n'est plus ce qu'elle était ; “ la ‘‘grande ville de Phrygie'' d'Hérodote a fait place à la bourgade (polisma) mentionnée par Strabon[17]. ” Sa trace dans l'Histoire va s'effacer peu à peu, alors que s'inscrit son nom pour toujours dans le Canon biblique, grâce à la belle lettre de Paul[18]. C'est qu'un terrible tremblement de terre, au début des années 60, devait détruire Colosses et Laodicée, toutes deux étant en effet situées dans une zone prédisposée aux secousses sismiques. Cette dernière avait toutefois réussi à se relever de ses ruines. Colosses, pour sa part, n'est jamais parvenue à retrouver sa vitalité[19].

Les historiens rapportent que la population phrygienne avait un caractère “ en rapport avec la nature volcanique du sol[20] ”. Ce tempérament était notamment marqué “ par une tendance au mysticisme et aux excitations orgiastiques [sic] qui firent de la Phrygie le centre du culte frénétique de Dionysos[21] et de Cybèle[22] ”. “ Peut-être, demande Daniel Furter, [cela] explique-t-il la faveur rencontrée par le Montanisme au 2e siècle[23] ? ” En tout cas, ce caractère “ volcanique ” offrait un terrain propice au foisonnement religieux[24].

De plus, de par sa position stratégique sur la “ grande voie commerciale allant de l'Ouest à l'Est ”,  Colosses était, plus que ses voisines, en contact permanent avec les divers mouvements intellectuels et religieux de l'époque[25]. Rhéteurs, philosophes, prédicateurs ambulants (et bien souvent mercantiles) venaient en effet de toutes parts pour répandre leurs systèmes et leurs doctrines nouvelles. Ainsi, sur le fond du paganisme universel et millénaire, se “ greffaient ” des cultes divers : “ rites de la mythologie gréco-romaine, culte impérial, qui s'était développé à partir de Pergame, mystères, prégnose, judaïsme, occultisme (cf. Ac 19)[26]. ” Les syncrétismes de toute sorte étaient donc à la mode, ce qui explique probablement la rédaction de l'épître aux Colossiens, alors que les jeunes églises du Lycus devaient faire face aux différentes pressions religieuses et au danger bien réel d'amalgamer le christianisme primitif avec les croyances païennes populaires. “ Les chrétiens avaient aussi besoin de se voir mis en garde contre les mœurs licencieuses de leurs concitoyens, que le paganisme ne réprimait pas, mais encourageait plutôt[27]. ”

 

L'Église de Colosses

Nous savons que l'apôtre Paul n'a pas été le fondateur de l'Église de Colosses. Il a seulement “ entendu parler de [leur] foi en Jésus-Christ ” (Col 1.4). D'ailleurs, l'apôtre mentionne que jamais les Colossiens, pas plus que les Laodiciens, n'ont “ vu son visage en la chair ” (Col 2.1).

Paul, il est vrai, a exercé un ministère particulièrement puissant et fécond tout près de Colosses (à Éphèse, possiblement de 54 à 56). On peut alors supposer que c'est son ministère stratégique à Éphèse[28] qui, tel un rayon émanant de la pure lumière de l'Évangile, a illuminé Colosses et les cités voisines que sont Laodicée et d'Hiérapolis. Des collaborateurs de Paul ont pu, en effet, quitter Éphèse pour aller évangéliser les villes bordant le Lycus et y fonder ces trois églises[29].

Un certain nombre de biblistes soutiennent que c'est Épaphras qui a fondé l'Église de Colosses[30]. Les textes, cependant, ne mentionnent nulle part d'une manière explicite que c'est à lui que revient le mérite d'avoir établi la communauté colossienne. Nous savons, par contre, qu'il a joué un rôle prépondérant, non seulement dans l'Église de Colosses, mais encore dans celle de Laodicée et dans celle d'Hiérapolis[31]. S'il n'est pas le fondateur de ces églises, Paul semble toutefois le désigner comme “ le responsable principal de la congrégation[32] ” de Colosses : c'est à lui, en effet, que Paul a donné des instructions pour les Colossiens (Col 1.7). C'est aussi de lui que l'apôtre rend ce beau témoignage : “ Je lui rends ce témoignage qu'il prend beaucoup de peine pour vous ” (Col 4.12-13). Paul le décrit également comme son “ bien-aimé compagnon de service ” et comme un “ fidèle ministre de Christ ” (Col 1.7).

La plupart des chrétiens de l'Eglise de Colosses étaient issus du paganisme (Col 1.21,27 ; 2.13)[33]. En plus d'Épaphras, de Philémon et d'Onésime, que nous avons déjà cités, nous connaissons aussi Archippe (Col 4.17) et la sœur Appia (Phm 1.2)[34]. Ces différents noms, affirme Kuen, “ sont typiquement païens[35] ”. Mais il se peut aussi qu'il y ait eu dans la communauté de Colosses quelques Juifs convertis. En effet, les lecteurs semblent familiarisés avec les coutumes et les rites juifs ainsi qu'avec certains enseignements du judaïsme (Col 2.16-18) et ils connaissent les psaumes (Col 3.16). Selon Kuen, “ ces connaissances, ont pu leur avoir été transmises par les anciens Juifs parmi eux ou par les hérétiques qui avaient eu, manifestement, des contacts avec le judaïsme[36] ”.

L'Église de Colosses croissait normalement (Col 1.6) et demeurait ferme dans la foi (Col 2.5-7). Mais elle était aussi menacée par différents dangers : celui de retomber dans l'immoralité du paganisme (Col 3.5-11) et de se laisser séduire par l'hérésie (Col 2.8-23). Daniel Furter explique :

L'Église de Colosses, cependant, devait disparaître complètement de l'histoire chrétienne après la lettre de l'apôtre, alors que Laodicée et Hiérapolis ont été appelés à jouer un rôle important au cours des premiers siècles[38]. À titre d'exemple : la série de lettres aux Églises d'Asie, dans l'Apocalypse, ne comporte pas de message à l'adresse de la communauté de Colosses, alors que Laodicée et Hiérapolis y figurent toutes deux.

De ce bref survol historique, nous pouvons tirer deux conclusions : a) En raison du foisonnement religieux à Colosses, l'église semble avoir été fortement menacée de sombrer dans le syncrétisme[39]. b) À l'exception de l'épître que Paul a écrite aux Colossiens et des relations qu'il entretenait avec certains collaborateurs dans cette région (Épaphras, Philémon, Onésime), il semble que l'Église de Colosses, dans son ensemble, n'a eu aucun contact direct avec un apôtre, ce qui peut très bien expliquer pourquoi Paul, en considérant la nature du problème, s'est empressé de lui envoyer une missive.

Vue dans cette perspective, la situation de l'Église de Colosses en rapport avec l'hérésie colossienne revêt un caractère plutôt dramatique et urgent[40]. Il devait s'agir d'une doctrine bougrement captieuse, puisque Ephapras lui-même, qui pourtant était le “ bien-aimé compagnon de service de Paul ” et un “ fidèle ministre de Christ ” (Col 1.7), ne semble pas avoir été en mesure de réfuter l'erreur qui sévissait dans les Églises de la vallée du Lycus. Il a dû, en effet, s'entretenir avec Paul de cette situation particulière, alors que ce dernier était, à cette époque, tenu en captivité à Rome (soit dit en passant, nous ignorons si Epaphras s'est volontairement livré aux autorités romaines pour être tenu en captivité avec l'apôtre Paul ou s'il a été capturé contre son gré)[41].


L'hérésie colossienne

Présentation brève de la problématique

Comme nous l'avons mentionné dans l'introduction, l'hérésie colossienne est particulièrement difficile à cerner. Plusieurs hypothèses ont d'ailleurs été échafaudées pour tenter de l'identifier[42]. James D. G. Dunn fait mention d'une liste concoctée par J. J. Gunther, dans laquelle ce dernier dénombre pas moins de quarante-quatre suggestions différentes à propos de cette hérésie[43] ! Mais cette prolifération des théories ne s'arrête pas là : à partir de toutes les conjectures déjà proposées, des combinaisons nouvelles sont formées, avec des dosages très différents selon les critiques[44]. On assiste donc non seulement à une grande diversité d'opinions, mais aussi à une véritable multiplication des interprétations. Dans de telles conditions, peut-on espérer, peut-on même encore penser, qu'il est toujours possible de parvenir à identifier avec précision la fausse doctrine que Paul combat dans sa lettre à l'endroit des Colossiens ? Sommes-nous en droit d'espérer une réponse positive et d'attendre, dans ce cas, un éclaircissement final et définitif sur ce point ou devons-nous nous résigner à demeurer dans un perpétuel clair-obscur et, par le fait même, en rester au stade des approximations ?

La perplexité des commentateurs à propos de cette hérésie s'est souvent traduite par la manière dont certains d'entre eux ont cherché à la circonscrire, en employant le mode interrogatif : d'où venait cette hérésie ? d'un certain judaïsme influencé par Qumrân ? d'un culte oriental païen avec des êtres célestes ? d'une situation pré-gnostique ? d'un gnosticisme véritable ? d'un judaïsme gnostique[45] ? À ces points d'interrogations, on peut ajouter les questions suivantes : Paul s'oppose-t-il à un ou à plusieurs adversaires ? Les chrétiens de Colosses étaient-ils des païens influencés par le judaïsme ou de Juifs marqués par le paganisme ? La pression hétérodoxe s'exerçait-elle à l'intérieur ou à l'extérieur des assemblées du Lycus[46] ? Toutes ces questions, et bien d'autres encore, reflètent bien le type de difficultés sur lesquelles se heurtent les spécialistes bibliques[47]. Mais elles ont également le mérite “ d'énumérer les diverses pistes suivies par les théologiens[48] ”. Il est évident que nous ne pourrons pas ici répondre à toutes ces questions ni exposer toutes les théories en vogue. Nous proposons donc une classification des principales hypothèses retenues par les chercheurs[49]. Mais, avant de nous pencher sur celles-ci, brossons d'abord un tableau sommaire de la fausse doctrine à Colosses.


Description sommaire de la fausse doctrine

Une des premières caractéristiques de ce système hétérodoxe, c'est son légalisme. Il semble en effet que le groupe d'hérétiques (ou un seul ?) à Colosses ait voulu imposer aux chrétiens de cette ville une batterie d'ordonnances cultuelles et de pratiques légalistes (Col 2.20), comme, par exemple, des diètes alimentaires et des restrictions à propos des fêtes (Col 2.16) et des pratiques ascétiques rigoureuses (cf. Col 2.21-23 :“ ne prend pas ! ne goûte pas ! ne touche pas ! ”)[50]. On affirmait que ces préceptes contribuaient à manifester le degré de sagesse et d'humilité de celui qui s'efforce de les mettre en pratique (Col 2.16, 22, 23). Un élément de mysticisme était également présent (cf. Col 2.18, où il est question “ des visions ” et d'un “ culte des anges ”). Comme le pense Daniel Furter, la “ philosophie ” (Col 2.18) dont il est question dans l'Épître aux Colossiens “ prétendait procurer une connaissance particulière au sujet des “ éléments du monde ”, considérés comme des puissances angéliques (Col 2.21)[51] ”. Et c'est en rendant un culte à ces puissances (Col 2.18) et en pratiquant les préceptes ascétiques, que l'on avait “ accès à la plénitude divine (plèrôma, Col 1.19)[52] ”. Enfin, il semble que les hérétiques aient été des propagateurs efficaces. Non seulement étaient-ils agressifs dans leur enseignement (Col 2.8), mais ces gens devaient être aussi très persuasifs dans leurs arguments (cf. Col 2.4, où l'apôtre parle de leurs “ discours séduisants ”)[53].


Une forme de gnosticisme ?

J. B. Lightfoot, évêque de Durham, croit pouvoir discerner à la base de l'hérésie colossienne une forme de judaïsme “ gnosticisant ”. Ce type de judaïsme qu'il décèle, il l'identifie avec l'essénisme. Les Essénien, argue-il, étaient “ marqués par l'exclusivité intellectuelle et les doctrines spéculatives du gnosticisme[54] ”. Il prend bien soin cependant de “ distinguer le gnosticisme déclaré du 2e siècle de [cette] gnose diffuse qui sévissait déjà au premier[55] ”. Il serait donc plus juste, suivant sa perspective, de parler de “ pré-gnose ”. Dans la description qu'il fait de l'essénisme, l'évêque de Durham relève les éléments étrangers à la Loi : spéculation théosophique et spéculation cosmogonique, mysticisme, vénération du soleil, place donnée aux anges, dont les noms doivent être mémorisés, élite intellectuelle (avec une insistance sur la connaissance et la sagesse)[56], ascétisme rigoureux et mépris du corps qui emprisonne l'âme[57]. Il suppose que la colonie juive de Phrygie comprenait des Esséniens ; ceux-ci se seraient en effet établis dans la région au temps des apôtres[58].

De plus, comme le souligne Daniel Furter, “ la découverte des vestiges du monastère de Qumrân et des manuscrits de la Mer Morte a considérablement enrichi notre connaissance de l'essénisme[59](...) ”. Ces découvertes révèlent, entre autres, l'existence d'une secte qui observait un calendrier hétérodoxe, des ordonnances sabbatiques et des règles alimentaires. Ce groupe sectaire pratiquait également un ascétisme assez rigoureux et insistait grandement sur l'épanouissement de la sagesse et de la connaissance, avec une compréhension particulière du monde (kosmos), des anges, etc. Certains commentateurs ont alors supposé que ce groupe en question, qui se serait installé, dit-on, dans la région de Colosses, était un rejeton de la communauté de Qumrân. Sont de cet avis W. D. Davis et P. Benoit[60]. Ce dernier maintient que la circoncision, l'observance scrupuleuse des ordonnances alimentaires, le calendrier des fêtes et la spéculation concernant les puissances angéliques révèlent une coïncidence parfaite avec les vues hétérodoxes des Juifs vivant près de la Mer Morte[61].

Selon James D. G. Dunn, la “ vieille idée ” de Lightfoot, selon laquelle l'hérésie colossienne partage un bon nombre de caractéristiques avec l'essénisme, “ peut avoir plus de crédibilité qu'il ne paraît à première vue[62] ”. Par contre, quelques pages plus loin, il nuance considérablement cette affirmation, en disant que, pour l'instant, l'hypothèse d'un “ judaïsme gnostique ” est probablement “ le signe d'une imagination historique trop insouciante[63] ” ! Si quelqu'un préfère quand même continuer à parler de “ judaïsme gnostique ”, il propose, dans ce cas, que le terme “ gnostique ” soit compris dans le sens de “ mystique ” ou “ apocalyptique ” (ibid., p. 31). Comme nous l'étudierons ultérieurement (au point e), le professeur Dunn prétend que c'est à l'enseignement philosophique d'une synagogue juive plutôt sectaire que Paul fait allusion dans l'Épître aux Colossiens. Mais il rejette carrément l'hypothèse selon laquelle ce groupe judaïque aurait subi des influences syncrétistes avec les religions à mystères ou les systèmes pré-gnostiques de l'époque. Il pense donc que la thèse de Lightfoot est “ plausible ”, mais uniquement là où elle corrobore certains éléments de sa propre théorie à propos de l'existence d'une synagogue juive dans la vallée du Lycus.

Enfin, E. M. Yamauchi, dans son article Sectarian Parallels : Qumran and Colossae, refuse d'associer l'hérésie colossienne avec l'essénisme ou avec la doctrine de Qumrân[64]. Selon ce spécialiste, il n'y a aucune allusion dans l'Épître aux Colossiens à propos des cérémonies de purifications, alors qu'elles semblent avoir été assez populaires parmi les Esséniens et dans la religion de Qumrân. Il soutient également que certaines caractéristiques de l'erreur colossienne sont pratiquement inconciliables avec la religion de Qumrân. Il se dissocie donc de la thèse de Lightfoot. À son avis, l'hérésie colossienne représente plutôt un stage particulier d'une évolution doctrinale qui se situe entre le judaïsme hétérodoxe et le gnosticisme comme tel[65].

 

Un rite mystérique ?

Après avoir examiné les découvertes archéologiques de Claros, au nord-est d'Éphèse, où se célébrait le culte d'Apollon, le théologien allemand Martin Dibelius, dans une étude publiée en 1917[66], dans laquelle il compare le résultat de ces fouilles avec les rites d'initiations aux mystères de la déesse Isis (les mystères isiaques), rites qui ont été soigneusement préservés par l'écrivain latin du 2e siècle Apulée de Madaure (125-180), dans son œuvre Les Métamorphoses (Livre XI, p. 20-23), croit déceler des analogies frappantes entre ces initiations mystériques et l'hérésie colossienne. Ce ne sont pas, bien entendu, les mystères d'Isis qui ont séduit les chrétiens de Colosses[67]. Là où il y a similarité avec le culte d'Isis, c'est dans le rite d'initiation que les hérésiarques de Colosses préconisaient avec beaucoup d'instance. Daniel Furter explique : “ [Ces] faux docteurs, formant une véritable prêtrise, et agissant de l'extérieur de la communauté, auraient pressé ses membres de passer par le rite d'initiation pour se concilier les puissances célestes en leur rendant un culte[68]. ” Cette théorie de Dibelius repose presque exclusivement sur l'interprétation qu'il fait de Col 2.18, et plus particulièrement du verbe émbateueïn (“ s'abandonne à des visions ” [Colombe][69]), verbe auquel il donne un sens technique proche du verbe muïen, “ initier ”[70]. On aurait donc affaire, dans l'épître, à un gnosticisme pré-chrétien, avec initiation mystérique. Ainsi, les règles imposées en Col 2.16-23, malgré leur apparence judaïque, relèveraient en fait d'un ascétisme païen. Mais Lyonnet considère qu'il est peu sage d'échafauder une théorie entière d'un culte païen à mystère à Colosses sur la seule base du verbe émbateuô[71].

 

L'enseignement des docteurs judaïsant ?

Selon certains spécialistes bibliques, les découvertes récentes des manuscrits de la Mer Morte ramènent la pendule dans la direction d'une reconnaissance plus grande des caractéristiques typiquement juives de l'erreur colossienne[72]. Mais, au 16e siècle, le réformateur français Jean Calvin, dans son commentaire sur l'Épître aux Colossiens, soutenait déjà que les hérésiarques sont en réalité des Juifs. Selon lui, les faux docteurs à Colosses, les galants comme il les appelle, “ ne cherchaient rien d'autre que de mêler Christ avec Moïse, et de retenir les ombres de la Loi avec l'Évangile[73] ”. Ces Juifs, dit-il, forgeaient un accès à Dieu par les anges, et mettaient en avant beaucoup de spéculations platoniciennes, notamment celles qui se trouvent dans le livre du pseudo-Denys l'Aréopagite, De la Hiéarchie céleste[74]. Si Paul taxe de “ vaine philosophie ” l'hérésie colossienne (Col 2.8), c'est uniquement parce que les Juifs “ couvraient de belles couleurs leurs mensonges et tromperies, et fardaient leurs doctrines[75] ”. D'ailleurs, Calvin refuse catégoriquement de voir dans l'affaire colossienne deux sortes de gens, d'une part les philosophes, qui aimaient disputer des astres, de la destinée et d'autres semblables rêveries, et d'autre part les Juifs, qui mettaient en avant l'observation de leurs cérémonies[76]. Voici donc, selon le réformateur, le but principal de l'apôtre Paul en écrivant cette missive pour l'Église de Colosses : “ c'est de montrer que toutes choses sont en Christ, et par conséquent que lui seul doit suffire, voire plus que suffire aux Colossiens[77]. ”

James D. G. Dunn échafaude une hypothèse essentiellement identique à celle de Calvin (identique dans le fond, mais non dans la forme). Selon lui, c'est la tentation du judaïsme qui représentait une menace réelle pour les chrétiens de Colosses (the Colossian threat)[78]. Il avance trois arguments pour appuyer sa thèse :

1) Il existait, dans la vallée du Lycus, des communautés ethniques juives bien établies. Cela implique qu'il devait s'y trouver également un certain nombre de synagogues. À l'instar des églises chrétiennes, qui étaient à l'époque des églises de maison, les Juifs, selon toute vraisemblance, dit Dunn, se rassemblaient eux aussi dans les demeures privées, pour la prière[79]. Et si Paul, en écrivant sa lettre pour les Colossiens, a suivi la même procédure que celle de ses voyages missionnaires rapportés dans les Actes, il faut alors envisager que l'Église de Colosses était principalement composée de Juifs et de prosélytes (Col 1.12, 27 ; 2.13), dont certains étaient encore membres de la synagogue (ce qui expliquerait, selon Dunn, les affirmations de Paul en Col 3.11 : “ Il n'y a là ni Grec ni Juif ” et en Col 4.11 : “ Parmi les circoncis ce sont les seuls qui travaillent avec moi pour le Royaume de Dieu ”)[80].

Dunn rejette le stéréotype selon lequel les Juifs et les chrétiens, dès le départ, étaient clairement séparés les uns des autres[81]. Il prétend, au contraire, que les chrétiens ont continué pendant un bon bout de temps à assister simultanément au service de la synagogue et à celui de l'église. Ce n'est que plus tard que les théologiens ont véritablement commencé à exhorter les chrétiens à se détacher des coutumes et des rites juifs. Il cite, à cet effet, une armée d'auteurs anciens, comme le pseudo-Barnabas, Ignace d'Antioche, Justin Martyr, Origène et Jean Chrysostome. Il rappelle également les consignes du concile de Laodicée, au 4e siècle, (canons 16, 29, 37 et 38) qui “ interdisaient aux chrétiens d'observer les fêtes juives et de garder le sabbat[82] ”.

2) Comme second argument, Dunn mentionne l'attitude habituelle des Juifs de la diaspora, qui “ étaient soucieux de maintenir leur identité religieuse distincte et d'avoir le droit de le faire[83] ”. Plus particulièrement les droits d'ériger des synagogues, de payer la taxe du temple, d'être affranchi du service militaire, et de vivre en conformité avec les lois du judaïsme, comme le respect du sabbat et les prescriptions alimentaires. Cela ne veut pas dire cependant que le judaïsme des synagogues colossiennes était en tout point un judaïsme calqué sur celui de la Palestine[84]. Déjà dans le judaïsme palestinien, on dénombre plusieurs sectes juives. On doit donc supposer, poursuit Dunn, que cette diversité soit également apparue dans la diaspora. Toutefois, il faut exclure la possibilité d'un syncrétisme judaïque (Jewish syncretism) dans les communautés juives de la dispersion[85]. D'après lui, aucune évidence n'a encore été fournie concernant l'existence d'un “ judaïsme gnosticisant ” ou d'un “ gnosticisme judaïsant ”[86]. Il est vrai, cependant, que les apologistes juifs aimaient faire usage de la philosophie grecque et que les écrivains apocalyptiques et les mystiques étaient prompts à explorer les “ révélations célestes ”. Mais tout cela, ajoute Dunn, était pratiqué à l'intérieur des cercles juifs. Probablement, d'ailleurs, pour rehausser le prestige du judaïsme aux yeux des adeptes des autres religions[87].

3) Nous ne pouvons pas, dit-il en définitive, concevoir que les Juifs de la dispersion aient formé un certain nombre de juiveries et qu'ils se soient ainsi isolés du reste de la population. “ Au contraire, nous connaissons plusieurs cités de l'Asie Mineure où la communauté juive et la synagogue étaient bien intégrées dans la vie sociale et civique de la cité[88]. ” Certains détails (des épitaphes découvertes à Hiérapolis) donnent même à penser que les Juifs de la vallée du Lycus, du moins quelques-uns d'entre eux, étaient plutôt bien connus et respectés parmi leurs concitoyens[89].

Bien que les Juifs de Colosses ne semblent pas avoir entrepris un effort soutenu “ d'évangélisation ”, les païens, toutefois, étaient bienvenus à joindre les rangs du judaïsme, s'ils venaient, bien entendu, à s'y intéresser. Ils devenaient alors des prosélytes. De plus, ce qui paraît avoir été le trait distinctif des Juifs, c'est l'apologétique. C'est-à-dire le désir de gagner, par le dialogue, le respect des voisins et des collègues d'affaire, et d'expliquer le judaïsme à ceux que cela intéresse. Selon Dunn, Philon est, à cet égard, le parfait exemple d'un Juif bien éduqué utilisant la philosophie platonicienne et stoïcienne pour démontrer aux Hellénistes la puissance rationnelle et religieuse du judaïsme[90].

En prenant pied sur ces trois arguments, le professeur Dunn conclut : la menace à Colosses provenait d'une ou de plusieurs synagogues de la région, dont le travail apologétique était particulièrement actif[91]. Certains chrétiens étaient attirés par le prestige du judaïsme, alors que d'autres (des Juifs et d'anciens prosélytes juifs) étaient tout simplement tentés de retourner à la judaïté[92].

 

Un judaïsme hellénistique ?

Alfred Kuen décèle dans l'épître “ des cérémonies et des institutions typiquement juives[93] ” : la circoncision (Col 2.11 ; 3.11), des lois au sujet de la nourriture et de la boisson, des fêtes, des nouvelles lunes et des sabbats (Col 2.16). Jusqu'ici, il défend une position similaire à celle de James D. G. Dunn. Par contre, il pense que les Juifs de la Phrygie “ étaient accusés d'être spécialement ouverts aux spéculations du monde hellénistique[94] ” comme, entre autres, à la notion essénienne de la captivité de l'âme et du corps, à l'ascétisme et au culte des anges (le judaïsme périphérique, selon l'expression de Furter). Il donne l'exemple d'une femme juive, qui pouvait être à la fois présidente honoraire de la synagogue et prêtresse du culte de l'empereur ! Ainsi, “ l'hérésie colossienne devait être essentiellement une spéculation syncrétiste juive teintée des notions philosophiques grecques qui constitueront le gnosticisme au IIe siècle[95] ”.

Mentionnons également les thèses d'Hergermann et de H. M. Carson, que Daniel Furter esquisse rapidement dans son commentaire. Pour le premier, l'hérésie colossienne porte la marque certaine des conceptions philoniennes. Pour le second, l'influence de l'hellénisme se perçoit surtout dans le dualisme entre la matière et l'esprit[96]. Dans la perspective de ces deux auteurs on a affaire, conclut Furter, à “ des tendances gnostiques embryonnaires[97] ”.

 

Les Colossiens sont-ils menacés par un syncrétisme ?

Lähnemann croit pouvoir discerner à Colosses un amalgame de paganisme phrygien, qui était plutôt porté aux expériences extatiques, de mythologie iranienne, qui donnait une place prioritaire aux “ éléments ”, de sagesse grecque, de rite mystérique et de judaïsme. Les adeptes de la “ secte ” colossienne croyaient devoir incorporer aussi le Christ dans la hiérarchie du plérôme[98].

Selon N. Hugedé[99], l'emploi de la formule “ les éléments du monde ”, dans l'Épître aux Colossiens, a une grande importance pour la compréhension de l'épître en général et de l'erreur colossienne en particulier. Il explique l'évolution de cette expression : dans son sens primitif, elle désignait les éléments d'un tout ; plus tard, à l'époque d'Empédocle, les stoïcheïa ont signifié les éléments naturels (air, eau, feu, terre). Aux temps hellénistiques, les “ éléments ” étaient compris comme des êtres célestes (esprits astraux, dieux ou démons), auxquels on vouait un culte. Les spéculations mythologiques et astrologiques du néo-stoïcisme sur les éléments, spéculations qui devaient passer dans la gnose, ont séduit quelques milieux du judaïsme. Tout en conservant le plus possible leur monothéisme de base, ces Juifs ont développé une doctrine des anges qui attribuait un rôle important aux êtres intermédiaires. Philon, entre autres, a contribué largement à cet amalgame entre les anges et les éléments, les puissances cosmiques de la cosmologie stoïco-platonicienne. Il est donc probable que Paul, dans son message à l'Église de Colosses, se dressait contre une piété syncrétiste, dans laquelle il était difficile de démêler les apports du judaïsme de ceux de l'hellénisme, et qui portait sérieusement atteinte à la prééminence de Jésus-Christ en laissant aux stoïcheïa tou kosmou, aux anges, une fonction désormais révolue. En outre, pour Hugedé, les prescriptions ascétiques de Col 2.16 se comprennent aussi bien de la part d'un système religieux païen que d'un cercle juif.

Daniel Furter s'interroge cependant sur l'allusion aux “ sabbats ” (Col 2.16)[100]. Paul, en écrivant ce terme, aurait-il pu volontairement ne pas penser à sa signification dans le judaïsme et ne songer qu'au calendrier païen, et cela sans préciser sa pensée pour les lecteurs judéo-chrétiens, demande-t-il ? Bien que Hugedé ne nie pas la possibilité d'une contribution rabbinique à la doctrine hérétique, il relègue cependant celle-ci au second plan.

L. Cerfaux, dans son Introduction à la Bible II[101], distingue dans l'erreur colossienne trois niveaux, un niveau païen, un niveau juif et un niveau chrétien. Selon lui, le paganisme vulgaire, dans lequel les éléments sont considérés comme des puissances cosmiques gouvernant les astres, éléments qui ont ensuite pris la place des divinités iraniennes, convergerait avec une forme de judaïsme, qui tentait alors de se présenter, à l'exemple d'autres courants religieux en Asie Mineure, comme un mystère, vers une dévotion mystérique à l'adresse de ces dites puissances. La tentation de poursuivre cet effort de syncrétisme en y incorporant aussi le christianisme représentait à Colosses un danger bien réel, qu'il fallait écarter à tout prix.

Selon E. Schweizer[102], il ne faut pas confondre les “ éléments du monde ” et les anges. Après avoir passé en revue la conception antique du monde, qui s'est développée depuis Héraclite jusqu'à Plutarque, en passant par Empédocle, les Stoïciens, les Pythagoriciens, Philon, il parvient à la conclusion que l'harmonie du monde dépend de l'équilibre entre les quatre éléments (air, eau, feu, terre). S'il arrivait, ô malheur, que ces éléments s'effondrent, le chaos surviendrait inexorablement, ce chaos que redoutaient tant les Anciens, qui connaissaient si bien la fragilité du monde[103] !

Un mysticisme détournant les chrétiens d'une piété saine ?

Selon F. F. Bruce, l'hérésie colossienne serait en fait une forme de mysticisme, connu sous l'appellation de “ mysticisme de la mèrkàbàh ”, d'un groupe juif non-conformiste[104]. Ces Juifs, dit-il, recherchaient la vision du chariot céleste (mèrkàbàh) contemplé par Ézéchiel (Ez 1.15-26). Pour parvenir à une telle extase, il fallait observer scrupuleusement la Loi et s'astreindre à une période d'ascèse de douze ou de quarante jours. L'intervention des anges était indispensable pour l'ascension céleste ; il était important, cependant, de conjurer leur hostilité afin d'éviter les grands dangers que couraient les “ visionnaires ” dans leur expérience. Gershom Scholem, la sommité du 20e siècle en matière de mysticisme de la mèrkàbàh, fait le rapprochement entre le mysticisme en question et l'une des préoccupations dominantes du gnosticisme et de l'hermétisme des 2e et 3e siècles[105]. Cette préoccupation se résume ainsi : “ la rédemption de l'âme quittant la terre pour retourner dans la pleine lumière divine, à travers les sphères intermédiaires hostiles, occupées par les “ anges-planètes ” et les maîtres du monde[106]. ” Selon Scholem, le mysticisme de la mèrkàbàh peut très bien être décrit comme un “ gnosticisme juif ”[107].


CONCLUSION

Une proposition

Est-ce que l'état actuel des recherches permet de croire que le problème de l'hérésie colossienne est enfin résolu ? Après avoir passé en revue les hypothèses principales à propos de cette hérésie, sommes-nous en mesure de donner une réponse satisfaisante à cette question ? Il nous paraît plus sage, sur ce point, de conclure comme le fait Daniel Furter : “ il est difficile de tirer une conclusion autrement que sur le mode interrogatif[108]. ” Essayons toutefois de terminer d'une manière aussi affirmative que possible.

Qu'il y ait eu à Colosses un pré-gnosticisme, cela n'est pas sûr. Il est impossible, en effet, d'affirmer avec certitude que l'apôtre Paul a délibérément combattu des tendances gnostiques ou un gnosticisme embryonnaire que prônaient certains hérésiaques, qui se seraient tenus à l'époque en marge des églises du Lycus. On peut toutefois penser que Paul a pressenti l'erreur gnostique. Comme le demande Furter : “ n'a-t-il pas, à partir de symptômes inquiétants, eu l'intuition du développement d'un courant hétérodoxe, qui devait prendre, quelques décennies plus tard, la forme du gnosticisme[109] ? ” Mais il ne s'agit là que de conjectures.

Concernant le mot mystère, il est vrai que celui-ci apparaît plusieurs fois dans l'Épître aux Colossiens et qu'il appartient également à la terminologie des religions à mystères. On peut donc penser que l'apôtre dénonce, dans son épître, un élitisme réservant la connaissance et la perfection à des initiés assoiffés d'expériences mystiques. Le goût du mystère paraît en effet être présent dans l'épître. Mais, encore là, nous en sommes réduit au stade des suppositions. Paul, par contre, nous livre une définition extraordinaire de ce must_rion : en Christ, le secret du salut parfait et universel est révélé. Espérance de la gloire !

D'un autre côté, il faut reconnaître les multiples aspects judaïques de l'hérésie colossienne. Les allusions à la circoncision, à la Loi et aux jours de fêtes confirment en effet un arrière-plan judaïque. Les thèses de Calvin et de Dunn sont donc plausibles, jusqu'à un certain niveau du moins. Mais il nous semble exagéré d'associer, comme ils le font, les hérétiques de Colosses avec les docteurs judaïsant en Galatie. En ce qui concerne les autres allusions, plutôt hellénistiques (cultes des anges, expérience mystique), elles semblent laisser supposer que ce judaïsme ait été emprunt de certains éléments gnostiques et mystiques. On peut donc oser imaginer que les hérésiarques à Colosses appartenaient à un groupe juif non-conformiste, dans lequel étaient mêlés des éléments rabbiniques hellénistiques, des éléments païens, et des éléments chrétiens ramassés par les propagateurs du mouvement. Ils donnaient ainsi une place à Jésus d'une part, tout en limitant considérablement son rôle d'autre part.


BIBLIOGRAPHIE

 

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Notes

[1] Daniel FURTER, Les Épîtres de Paul aux Colossiens et à Philémon, Vaux-sur-Seine, Edifac, 1987, p. 49.

[2] En ce qui concerne la question de l'authenticité paulinienne de l'Épître aux Colossiens, nous renvoyons le lecteur au commentaire de Daniel FURTER, op.cit., p. 20-30. Voir aussi l'ouvrage d'Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, Saint-Légier, Emmaüs, 1989, p. 289-304.

[3] Daniel FURTER, op.cit., p. 27 s., n'exclut pas l'hypothèse selon laquelle Timothée aurait été le co-rédacteur de l'Épître aux Colossiens.

[4] Alfred Kuen, 66 en 1, Saint-Légier, Emmaüs, 1991, p. 215. Voir, au sujet de la captivité de l'apôtre, Everett F. HARRISON, Introduction to the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1968, p. 294-300. Voir également Daniel FURTER, op.cit., p. 31-37.

[5] Tychique devait également, au cours de cette même expédition, livrer l'épître destinée aux Éphésiens (cf. Ep 6.21). Quant à l'esclave Onésime, il devait, sur ordre de Paul, retourner auprès de Philémon, son maître, et lui remettre en mains propres le billet que l'apôtre avait écrit pour ce dernier (cf. Phm 1.12, 21). Voir Daniel FURTER, op.cit., p. 37.

[6] Daniel FURTER, op.cit., p. 15.

[7] Le Méandre, appelé aujourd'hui le Menderes, est un fleuve de la Turquie d'Asie, qui rejoint la mer Égée. Il mesure 450 km de long.

[8] La Phrygie était autrefois une province vaste et importante de l'Asie Mineure. À l'époque néo-testamentaire, le mot Phrygie n'était plus un nom de province, mais une appellation locale. Paul traversa la Phrygie lors des 2e et 3e voyages missionnaires. Voir, à ce sujet, le Nouveau dictionnaire biblique, Saint-Légier, Emmaüs, 1992, p. 1026.

[9] On appelait aussi cette route “ La grande voie commerciale allant de l'Ouest à l'Est ”  (Nouveau dictionnaire biblique, op.cit., p. 270 [sous la rubrique Colosses].).

[10] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 274.

[11] Daniel FURTER, op.cit., p. 15. Voir aussi Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 274.

[12] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 274.

[13] Daniel FURTER, op.cit., p. 16, explique les raisons de cette industrie florissante : “ Sur le sol fertile de la région poussaient de bons pâturages. Les troupeaux de moutons fournissaient une toison de haute qualité, matière première d'une industrie lucrative : la fabrication de laines teintes. Les propriétés chimiques de l'eau permettaient de produire des teintures excellentes. ”

[14] Daniel FURTER, op.cit., p. 16.

[15] Le Talmud se plaint que les Juifs se soient trop assimilés aux mœurs environnantes : “ les vins et les bains de la Phrygie ont séparé les dix tribus d'Israël ” (cité par Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 275). D'un autre côté, comme le signale Frédéric GODET, Introduction au Nouveau Testament : Les épîtres de Paul, Vol. 1, Neuchâtel, 1893, p. 492, cité par Alfred KUEN, ibid., “ cette population nouvelle [la population juive], avec son caractère religieux si profondément marqué, n'avait pu manquer d'exercer une certaine influence sur l'esprit de ces contrées ”.

[16] Daniel FURTER, op.cit., p. 16.

[17] Ibid., p. 17.

[18] Ibid.

[19] Daniel FURTER, op.cit., p. 17, confirme cependant que la ville a survécu, “ puisqu'on trouve, dit-il, des monnaies à son nom au 3e siècle ”. “ Mais la population devait s'établir à quelques kilomètres au sud, dans la localité de Chonas, où se dressait une forteresse byzantine, et qui fut le siège d'un évêché. ”

[20] Josèphe, Antiquités Jud., XII, 3, cité par Furter, op.cit., p. 16.

[21] Dans la mythologie grecque, Dionysos était le grand dieu de la Végétation et en particulier de la Vigne et du Vin. Il était le fils de Zeus et de Sémélé. On l'appelait aussi Bakkhos, nom que les Romains ont traduit par Bacchus. Le culte de Dionysos a contribué au développement de la tragédie et de l'art lyrique.

[22] G. FINDLAY, The Epistle of Paul to the Colossians, Pulpit Commentary, 1950, p. 11, cité par Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 275. La mythologie considérait Cybèle non seulement comme la déesse phrygienne de la Fertilité, mais aussi comme “ la grande mère des dieux ” (G. FINDLAY, op.cit., p. 11, cité par Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 275). Son culte, lié à celui d'Attis, s'était répandu (3e siècle av. J.-C.) dans le monde gréco-romain et comprenait des cérémonies initiatiques.

[23] Daniel FURTER, op.cit., p. 16. Le Montanisme était un mouvement prophétique. Il a été fondé en Phrygie vers les années 170, par un Chrétien du nom de Montanus, qui s'identifiait avec le Consolateur. L'influence et la popularité du Montanisme, cependant, n'ont été que de courte durée (environ une génération). Ce mouvement était une réaction violente non seulement contre le cléricalisme, mais aussi contre le gnosticisme et contre tout compromis avec la philosophie païenne. Plutôt extatiques, les Montanistes prétendaient recevoir directement de Dieu des révélations prophétiques. Ils se disaient spirituels par opposition aux psychiques de l'Église officielle. Ils étaient également de formidables ascètes et des rigoristes hors pair. Tertullien a été momentanément montaniste. Voir J.-M. NICOLE, Précis de l'histoire de l'Église, 6e édition, Nogent-sur-Marne, Institut Biblique de Nogent, 1996, p. 28. Voir aussi New Dictionary of Theology, édité par Sinclair B. FERGUSON, David F. WRIGHT et J. I. PACKER, Leicester, Inter Varsity Press, 1998, p. 444.

[24] Daniel FURTER, op.cit., p. 17.

[25] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 275.

[26] Daniel FURTER, op.cit., p. 17.

[27] Ibid.

[28] Daniel FURTER, op.cit., p. 18, s'émeut devant “ la belle stratégie du Saint-Esprit ” d'avoir établi Éphèse, “ porte ouverte sur toute l'Anatolie occidentale ”, comme base missionnaire de l'apôtre.

[29] Alfred Kuen est de cet avis ; voir son Les Lettres de Paul, op.cit., p. 275

[30] F. F. Bruce est catégorique sur ce point : “ The preaching of the gospel and planting of churches in the Lycus valley were evidently the work of Epaphras (...) ” (F. F. BRUCE, The New International Commentary on the New Testament : The Epistles to the Colossians, to Philemon and to the Ephesians, Grand Rapids, Eerdmans, 1988, p. 14.). Daniel FURTER, op.cit., p. 18, émet l'hypothèse suivante : l'Église de Colosses aurait été fondée par deux habitants du district de Laodicée, Épaphras et Philémon, au retour d'une visite qu'ils auraient faite à l'école de Tyrannus, dans la ville d'Éphèse, où Paul proclamait la parole du Seigneur (Ac 19.9-10). Rien, nous semble-t-il, ne contredit cette hypothèse. Mais rien non plus ne la prouve. En effet, Actes 19.9-10 ne mentionne nullement qu'Épaphras et Philémon aient assisté aux cours donnés par Paul dans l'école de Tyrannus. Ce passage, en fait, dit seulement que ce sont “ ceux qui habitaient l'Asie, Juifs et Grecs, [qui] entendirent la parole du Seigneur ”. Par contre, comme le soutient Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 276, “ Épaphras (...) et Philémon (...) ont dû faire la connaissance de Paul durant son séjour dans la capitale de leur province [Éphèse] ”. Il est donc possible que ces deux hommes aient rencontré l'apôtre Paul à Éphèse. Il faut toutefois ajouter que nous ne connaissons pas l'endroit exact où une telle rencontre a pu avoir lieu.

[31] Voir, à ce sujet, Peter T. O'BRIEN, Word, Biblical Commentary : Colossians, Philemon, Waco, Word, 1987, p. xxviii.

[32] Daniel FURTER, op.cit., p. 18.

[33] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 276.

[34] Épaphras, Philémon et Archippe exerçaient un ministère.

[35] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 276. Peter T. O'BRIEN, op.cit., p. xxviii, qui suit de près ici C.F.D. Moule, avance quatre arguments en faveur d'une composition majoritairement païenne de l'Église de Colosse : 1) Cela est suggéré par Col 1.12, 21, 27, “ où il est question de ceux [les païens] qui étaient autrefois à l'extérieur et qui ont été conduit à l'intérieur [du peuple de Dieu] ”, 2) il y a très peu d'allusions à l'Ancien Testament, 3) les vices mentionnés en Col 3.5-7 sont des péchés typiquement païens, et 4) il n'y a pratiquement aucune information en ce qui concerne la réconciliation entre les Juifs et les païens dans la congrégation.

[36] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 276. Daniel FURTER, op.cit., p. 19, parle également d'un “ groupe de judéo-chrétiens ”.

[37] Daniel FURTER, op.cit., p. 19.

[38] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 276.

[39] Le syncrétisme, comme explication de l'hérésie colossienne, est une solution largement adoptée par les commentateurs. Comme le dit Daniel FURTER, op.cit., p. 57, cette solution “ simplifie le problème en permettant de tomber d'accord avec la majorité des critiques et d'éviter le risque de se tromper sur toute la ligne ”.

[40] Daniel FURTER, op.cit., p. 64, va jusqu'à dire : “ À Colosses l'alerte a été chaude. ” Certains, cependant, manifestent leurs réserves sur ce point. Morna D. Hooker, qui va contre le courant quasi général de presque tous les commentateurs, se demande s'il n'est pas exagéré de dénoncer un enseignement hétérodoxe à Colosses. (Morna D. HOOKER, “ Were the False Teachers in Colossae? ”, dans Christ and the Spirit in the New Testament, Cambridge, University Press, 1973, p. 315-331.) Dans un temps où l'Église vit sous la pression du monde païen et avec un héritage juif, l'apôtre, prétend Hooker, a tout simplement voulu mettre en garde ses lecteurs contre toute “ philosophie ” et contre le retour au légalisme. Elle donne en guise d'exemple le cas fictif d'un pasteur chrétien de la Bretagne du 20e siècle, “ qui pourrait très bien sentir le besoin de rappeler à ceux qui sont sous sa charge que Christ était plus grand que n'importe quelles puissances astrologiques ” (ibid., p. 323). L'objectif de Paul, selon elle, a été d'apaiser des craintes favorisées par cet environnement diversement religieux et favorable au syncrétisme. Daniel FURTER, op.cit., p. 50 s., considère la thèse de Hooker “ trop optimiste ”. Il est vrai, admet-il, “ que nous n'avons pas le moyen de mesurer le degré d'égarement de certains membres de la communauté (devaient-ils éviter un piège ou bien s'en dégager ?) ”. Mais il poursuit en rappelant que “ les exhortations de Paul supposent une menace très réelle ”. Peter T. O'BRIEN, op.cit., p. xxxi, pour sa part, croit que la thèse de Morna D. Hooker ne prend pas suffisamment en compte le langage de Col 2.8-23, où l'apôtre mentionne des injonctions ascétiques très spécifiques (ne prend pas ! ne goûte pas ! ne touche pas !, Col 2.21), et où il parle de lois relatives aux aliments et aux fêtes (Col 2.16). Selon lui, Paul reprend dans ce deuxième chapitre les vocables populaires qu'utilisaient les hérésiarques, mais pour ensuite réfuter leur système erroné. F. F. BRUCE, op.cit., p. 18, rejette également les vues de Morna D. Hooker. Il dit: “ The language, however, points to a specific line of teaching against which the readers are put on their guard, and the most natural reason for putting them on their guard against it would be that they were in some danger of being persuaded by it.”

James D. G. Dunn, par contre, émet une hypothèse qui rejoint celle de Hooker. Selon lui, parler d'une “ hérésie colossienne ” ou d'un “ enseignement erroné ” à Colosses travestit les faits et induit inutilement en erreur le lecteur. Au 1er siècle, dit-il, il n'y avait pas encore de conception claire de ce qu'était “ l'orthodoxie chrétienne ” (l'orthodoxie, selon lui, n'a pris forme qu'à partir du 3e siècle). La formule baptismale “ au nom de Jésus ” et la confession “ Jésus est le Seigneur ” figuraient bien au centre du système doctrinal chrétien. Cependant, le reste de la doctrine, la “ circumference ”, était encore vague et partiel. Bien que la christologie ait été le “ facteur unificateur ” du Christianisme primitif, les diverses formulations doctrinales employées dans les conflits et les controverses ont cependant fonctionné comme des “ forces centrifuges ”, amenant ainsi le Christianisme à revêtir une multitude de “ formes ”, de telle sorte qu'à la question : “ Cela est-il le Christianisme ? ”, plusieurs réponses, même contradictoires, pouvaient alors être données. Puisque les limites de l'orthodoxie chrétienne n'étaient pas encore définies au 1er siècle, il ne pouvait pas y avoir non plus de système hétérodoxe comme tel (en effet, comme le dit l'écrivain français André Gide, “ il ne peut y avoir hétérodoxie s'il n'y a pas orthodoxie ” [voir Le Petit Robert électronique : disque optique compact CD-ROM version 1.3, Bruxelles, Éditions Électroniques, 1996-1997, sous la rubrique “ hétérodoxie ”]). Ainsi, prétendre que la “ philosophie ” à Colosses était une “ hérésie ”, suppose que cette fausse doctrine a pris naissance au sein même du Christianisme. Hypothèse contre laquelle Dunn s'oppose énergiquement. Il est préférable, dit-il, de concevoir cette “ philosophie ” comme un enseignement provenant d'un groupe extérieur à l'Église, d'un mouvement solidement établi à Colosses et fonctionnant de manière pleinement autonome (selon lui, il s'agit d'une secte juive). Là où il rejoint plus spécifiquement Hooker, c'est dans son refus d'identifier la gravité de l'hérésie colossienne avec celle qui sévissait en Galatie. Le calme de Paul écrivant aux Colossiens fait contraste avec la vivacité du ton qu'il emploie pour réfuter l'erreur des Galates. L'apôtre n'aurait donc pas envoyé cette missive pour venir en aide à quelques membres de l'Église de Colosses qui avaient déjà adhéré à une doctrine étrangère, mais tout simplement pour mettre en garde les chrétiens de cette église qui sont tentés de le faire. Voir James D. G. DUNN, The New International Greek Testament Commentary: The Epistles to the Colossians and to Philemon, Grand Rapids, Eerdmans, 1996, p. 24-26.

Nous sommes d'accord avec James D. G. Dunn lorsqu'il affirme que la fausse doctrine à Colosses provenait non d'un groupe présent à l'intérieur de l'église, mais d'un mouvement religieux qui lui était extérieur (sans nécessairement prétendre, comme il le fait, que ce groupe religieux est une secte juive). En effet, la mise en garde de l'apôtre en Col 2.4 (“ je dis cela, afin que personne ne vous trompe par des discours séduisants ” ; voir aussi Col 2.16), donne à penser qu'il devait bel et bien s'agir d'individus à l'extérieur de l'église, qui exerçaient une certaine pression sur les chrétiens de Colosses. De plus, la “ solidité de la foi ” des Colossiens et le “ bon ordre ” qui régnait dans leur église (Col 2.4), et dont Paul fait l'éloge, favorisent aussi cette thèse. Paul a dénoncé ceux qui, en Galatie, “ mettent le trouble parmi [eux] ” (Ga 5.12). Mais, à Colosses, le “ bon ordre ” régnait parmi les croyants, laissant ainsi sous-entendre que le mouvement hérétique n'était pas dans l'église un phénomène intrinsèque. D'un autre côté, la stupéfaction que manifeste l'apôtre en Col 2.20 : “ Si vous êtes morts avec Christ aux principes élémentaires du monde, pourquoi, comme si vous viviez dans le monde, vous laissez-vous imposer ces règlements ? ”, paraît aller bien au-delà d'une simple mise en garde : Paul, selon toute vraisemblance, dénonce ici des pratiques étrangères au Christianisme qui étaient déjà en cours dans l'Église de Colosses. On peut alors supposer, contra Dunn, que la fausse doctrine en question ne représentait plus uniquement une menace potentielle, mais qu'elle avait déjà, au contraire, commencé à se propager au sein de cette église, du moins chez quelques-uns de ses membres. La remarque de Daniel Furter, que nous avons présenté ci-dessus, est parfaitement appropriée : “ Les exhortations de Paul supposent une menace très réelle. ” L'Église, malgré sa fermeté dans la foi et le bon ordre qui la caractérisait, était véritablement en danger de glisser dans la fausse doctrine.

En outre, nous manifestons un désaccord profond avec la conception que propose M. Dunn à propos de “ l'orthodoxie chrétienne ”. Nous avons vu que, pour lui, il n'y avait pas de “ définition orthodoxe ” comme telle avant le 3e siècle de l'ère chrétienne. Or, s'il n'y avait aucun système orthodoxe durant le 1er siècle, avec quelle autorité les apôtres ont-ils bien pu parler ? Car si “ l'orthodoxie ” n'existait pas encore à cette époque, il ne pouvait y avoir non plus de “ saine doctrine ”. Et s'il n'y avait pas de saine doctrine, il ne pouvait y avoir non plus d'autorité apostolique (à quoi, en effet, servirait une telle autorité si de toute façon il n'y avait pas de saine doctrine à enseigner et à défendre ?). Et si les apôtres n'étaient pas revêtus de l'autorité messianique de Jésus, il ne pouvait y avoir non plus de “ bonne nouvelle ” (la bonne nouvelle, c'est celle qui vient du ciel ; et ce sont les apôtres qui ont reçu la charge de faire connaître aux hommes, avec l'autorité de Jésus et par la puissance du Saint-Esprit, cette bonne nouvelle qu'ils ont eux-mêmes reçue “ d'en haut ”). Et s'il n'y avait pas de bonne nouvelle, sur quel fondement et avec quelle autorité, demandons-nous, l'Église a-t-elle été établie ? Il est difficile, sur une base strictement biblique, de maintenir une absence totale de l'orthodoxie durant la période apostolique, surtout en face d'une affirmation paulinienne aussi forte que celle-ci : “ (...) attaché à la parole authentique telle qu'elle a été enseignée, afin d'être capable d'exhorter selon la saine doctrine et de convaincre les contradicteurs. ” (Tt 1.9 ; voir aussi, au sujet de la saine doctrine, Tt 2.1 ; 1 Tm 1.10 ; et 2 Tm 4.3). Paul, par ailleurs, déclare avec puissance : “ l'Évangile qui a été annoncé par moi n'est pas de l'homme. ” (Ga 1.11). Il s'agit de l'Évangile du Christ (1 Th 3.2 ; Ga 1.7), pleinement suffisant pour “ affermir et exhorter [les chrétiens] dans l'intérêt de [leur] foi ” (1 Th 3.2). Devant tant d'affirmations aussi claires, on s'imagine mal un Christianisme primitif sans orthodoxie !

Nous pensons que l'erreur de James D. G. Dunn consiste à associer l'orthodoxie uniquement à la forme qu'elle revêt. Or, il faut distinguer entre la substance et la forme de l'orthodoxie. Car, suivant les époques, l'orthodoxie a revêtu différentes formes, bien que sa substance soit toujours demeurée la même. (Il est intéressant, à ce sujet, de considérer la déclaration du pape Jean XXIII, de laquelle s'est inspirée d'ailleurs le IIe Concile du Vatican : “ Autre est le dépôt lui-même de la foi, c'est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. ”, “ Discours d'ouverture du Concile, 11 octobre 1962 ”, dans Acta Apostolicae Sedis, n° 54, 1962, p. 792, cité par Georges BAVAUD, “ Se réformer pour mieux se dire ”, dans Se dire en vérité ?, Genève, Labor et Fides, 1988, p. 96.) Mais, en associant l'orthodoxie, comme semble le faire Dunn, uniquement à sa forme, on la vide presque entièrement de sa substance. Dans la conception de ce commentateur biblique, l'orthodoxie est ce qui définit de façon formelle le Christianisme. Par conséquent, l'Église, n'ayant pas encore donné au 1er siècle une forme plus ou moins définitive à sa doctrine, l'orthodoxie ne pouvait tout simplement pas exister. Seules quelques miettes de doctrines, éparpillées çà et là, et ramassées plus tard par les Pères apostoliques, existaient à l'époque des apôtres. Ainsi, en associant l'orthodoxie uniquement à sa forme, M. Dunn retire ni plus ni moins aux apôtres toute autorité en matière de doctrine, pour ensuite transposer subtilement cette autorité quelque deux siècles plus tard, c'est-à-dire en plein dans la période patristique, au temps des premiers conciles régionaux de l'Église. Il est vrai que ce sont les conciles ecclésiastiques (notamment les quatre premiers conciles œcuméniques) qui ont repris les formulations théologiques déjà existantes et qui ont façonné d'autres formulations plus “ précises ” et plus “ formelles ”. Mais cela n'implique pas forcément que les apôtres ne situaient pas leur propre doctrine à l'intérieur d'une certaine orthodoxie. À vrai dire, ce sont eux précisément qui ont défini non seulement l'orthodoxie elle-même, mais aussi qu'elles en sont les limites ! Or, les livres canoniques du Nouveau Testament, écrits soit par les apôtres eux-mêmes ou par des disciples sous leurs tutelles, sont la seule règle valide en matière d'orthodoxie chrétienne. Les Pères apostoliques n'ont certainement pas inventé l'orthodoxie. Ils n'ont fait que se soumettre humblement et fidèlement aux Écritures, qu'ils savaient être la Parole inspirée de Dieu et revêtue de l'autorité des apôtres.

Nous disons donc, pour conclure : il y avait bel et bien hétérodoxie à Colosses, puisqu'il y avait également orthodoxie. Certes, comme le déclare James D. G. Dunn, la fausse doctrine n'a sûrement pas pris naissance dans l'Église de Colosses. Il s'agissait avant tout d'un phénomène purement extérieur à celle-ci. Par contre, cette erreur s'est aussi infiltrée dans cette communauté chrétienne. Et, s'il existait déjà une “ orthodoxie chrétienne ” au temps des apôtres, comme nous pensons l'avoir démontré, il faut alors sans hésiter taxer “ d'hétérodoxie ” cette erreur (Col 2.8).

[41] Cf. Peter T. O'BRIEN, op.cit., p. xxviii.

[42] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 279, liste les principaux hérétiques qui, au cours de l'histoire de l'Église, ont été assimilés à l'hérésie colossienne, avec les défendeurs respectifs de chacune de ces hypothèses : des philosophes (Tertullien), des épicuriens (Clément d'Alexandrie), des pythagoriens (Grotius), des chaldéens (Hug), des disciples de Jean-Baptiste (Kopp), des disciples d'Apollos (Michaëlis), des Esséniens chrétiens (Klöpper, Mangold), des judéo-chrétiens (Thiersch, Credner, Ewald, Ritschl, Salmon, Lightfoot) ou cabbalistes (Osiander) ou alexandrins (Schenkel), des gnostiques cérinthiens (Mayerhoff, Neander), des ébionites gnostiques (Baur, Lipsius, Sabatier, Pfleiderer). Et il ajoute, à juste titre : “ La variété de ces propositions montre que la véritable nature de cette hérésie n'est pas facile à déceler. ” (ibid.).

[43] James D. G. DUNN, op.cit., p. 27, note n° 22.

[44] Daniel FURTER, op.cit., p. 52.

[45] Cette série de questions est posée par M. CARREZ, “ Colosses et la lettre aux Colossiens. Le billet à Philémon ”, dans Introduction à la Bible, vol. III, Paris, Desclée, 1977, p. 160-161, cité par Daniel FURTER, op.cit., p. 52.

[46] Pour ces questions, voir Daniel FURTER, op.cit., p. 52.

[47] Comme le mentionne Daniel FURTER, op.cit., p. 51, à la suite de D. GUTHRIE, New Testament Introduction, London, The Tyndale Press, 1975, p. 546, “ la difficulté que l'on éprouve à identifier l'erreur tient précisément au fait que les allusions implicites à son sujet baignent dans un contextes d'affirmations massives, dont il faut déduire les hérésies qu'elles réfutent ”. En outre, comme le fait remarquer Peter T. O'BRIEN, op.cit., p. xxxii, “ Paul ne nous donne aucune exposition formelle ” de l'hérésie qui sévissait à Colosses.

[48] Daniel FURTER, op.cit., p. 52.

[49] Nous avons emprunté à M. Daniel Furter sa classification des différentes hypothèses.

[50] “ To submit to the prohibitions ‘‘Do not handle, do not taste, do not touch!'' would be to reenter the state of bondage under the elemental forces from which those addressed had been delivered by their new life in Christ. ”, F. F. BRUCE, op.cit., p. 18.

[51] Daniel FURTER, op.cit., p. 50. Daniel Furter pense en effet que les “ éléments du monde ” (stoïcheïa tou kosmou, Col 2.20) étaient, à l'époque, considérés comme des puissances angéliques. Wayne G. Rollins adopte une opinion différente sur ce point. Selon lui, le “ culte des anges ” dont il est question dans l'Épître aux Colossiens ne doit pas être compris comme un culte de louange rendu à des êtres célestes, mais plutôt comme une “ participation mystique ” des adorateurs avec l'armée angélique quand ils adorent et louent Dieu. Voir Wayne G. ROLLINS, “ Christological Tendenz in Colossians 1:15-20: A Theologia Crucis ”, dans Christological Perspectives, New York, The Pilgrim Press, 1982, p. 126.

[52] Daniel FURTER, op.cit., p. 50.

[53] Voir, à ce sujet, Wayne G. ROLLINS, op.cit., p. 126 s. Daniel FURTER, op.cit., p. 50, résume sommairement ce système hétérodoxe : “ Le risque couru par les chrétiens était de surestimer le rôle de la connaissance, aux dépens de la foi, dans l'expérience du salut, et de limiter le rôle de Jésus-Christ et de la grâce en cherchant un complément de sécurité et de sainteté dans des pratiques légalistes ainsi que dans un mysticisme malsain... et dangereux, car confinant à l'idolâtrie. ”

[54] Peter O'BRIEN, op.cit., p. xxxiii. Même son de cloche chez F. F. BRUCE, op.cit., p. 22 : “ One body of Jews which laid claim to higher knowledge and special revelation was the Essene order.”

[55] Daniel FURTER, op.cit., p. 53.

[56] “ The members of Qumran community repeatedly thank God for granting them knowledge of his “wonderful mysteries” which remain concealed from the uninitiated majority. ”, F. F. BRUCE, op.cit., p. 22.

[57] Nous avons fusionné la liste de Peter O'BRIEN, op.cit., p. xxxiii, avec celle de Daniel FURTER, op.cit., p. 53.

[58] Cf. Peter O'Brien, op.cit., p. xxxiv.

[59] Daniel FURTER, op.cit., p. 53.

[60] W. D. Davis, “ Paul and the Dead Sea Scrolls: Flesh and Spirit ”, dans The Scrolls and the New Testament, New York, Harper, 1957, p. 166-169, et P. Benoit, “ Qumran and the New Testament ”, dans Paul and Qumran. Studies in the New Testament Exegesis, London, Chapman, 1968, p. 17.

[61] Voir Peter O'BRIEN, op.cit., p. xxxiv. Wayne G. ROLLINS, op.cit., p. 127, en parlant de l'hypothèse de Lightfoot, dit : “ Again, J. B. Lightfoot's proposal that they are a Jewish-Gnostic sect of the Essene or Therapeutae type is still attractive, all the more since the discovery of the Qumran texts. The similarities are sufficient to suggest that the Qumran covenanters provide a viable model for understanding the mentality and pratice of the Colossian Errorists. ” Il reprend et adopte essentiellement les thèses de Lightfoot. Voir son article, ibid., p. 126-129.

[62] Voir James D. G. DUNN, op.cit., p. 30.

[63] James D. G. Dunn, op.cit., p. 34.

[64] E. M. YAMAUCHI, “ Sectarian Parallels : Qumran and Colossae ”, dans Bibliotheca Sacra, n° 121, 1964, p. 141-152, cité par Peter O'BRIEN, op.cit., p. xxxiv.

[65] Ibid.

[66] M. DIBELIUS, “ The Isis Initiation in Apuleius and Related Initiatory Rites (1917) ”, dans Conflict at Colossea, Missoula, éd F. O. Francis et W. A. Meeks, Missoula, 1975, p. 65-121. Voir dans F. F. BRUCE, op.cit., p. 20.

[67] F. F. BRUCE, op.cit., p. 20.

[68] Daniel FURTER, op.cit., p. 55. “ The Colossian Christians, without abandoning their Christianity, joined with their non-Christian teachers in a cultic life given over the powers and were initiated into a cosmic mystery devoted to the elements. ”, Peter O'BRIEN, op.cit., p. xxxv.

[69] Ostervald et Darby : “ s'ingérant dans les choses qu'il n'a pas vues ” (Martin aussi, mais avec quelques petites nuances) ; la traduction interlinéaire : “ scrutant dans ” ; la Français courant : “ et qui attachent beaucoup d'importance à leurs visions ” ; la Tob : “ ils se plongent dans leurs visions ” ; la Bible de Jérusalem : “ celui là donne toute son attention aux choses qu'il a vues ” ; la Crampon : “ de ce qu'il a contemplé dans l'initiation ” ; la Maredsous : “ Ces gens s'égarent dans leurs propres visions ”. Ce verbe, à l'évidence, a exercé la perspicacité des traducteurs !

[70] À proprement parler, le verbe émbateuô veut dire “ entrer dans ”. Selon Bailly, il s'emploie pour l'entrée dans un sanctuaire ; “ souvent en parlant des dieux, fréquenter un lieu qui leur est consacré ”. Voir A. BAILLY, Dictionnaire grec français, 38e édition, revue, Paris, Hachette, 1984, p. 652. F. F. Bruce semble a priori aller à la suite de l'exégèse de Dibelius. En effet, il paraît vouloir garder à ce verbe l'idée d'une initiation. Toutefois, le reste de sa démonstration laisse entrevoir une certaine nuance entre sa position et celle du théologien allemand. Selon lui, les visions dont parle l'apôtre Paul ne sont pas liées directement au rite d'initiation lui-même, mais à la seconde étape, à savoir “ l'entrée dans le lieu saint afin de contempler les mystères ” (F. F. BRUCE, op.cit., p. 121). Et, ces mystères, toujours selon Bruce, correspondent aux choses qu'il (un “ tel homme ”, celui qui “ s'adonne à des visions ” et qui “ cherche à ravir aux Colossiens le prix de la course ”) a vues dans ses visions. Daniel FURTER, op.cit., p. 153, doute que Paul ait utilisé le vocabulaire technique des religions à mystères. “ C'est plausible sans être démontré ”, dit-il. En s'appuyant sur l'exégèse de H. PREISKER, dans le Theological Dictionary of the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1964, p. 535 ss., qui ne voit pas ici la phraséologie des cultes mystériques, Furter pense plutôt que Paul a choisi le verbe émbateuô pour “ exprimer l'idée que les visionnaires “ entrent ” dans leurs visions pour les scruter et les analyser ”. Il est donc possible que Paul ait tout simplement voulu dénoncer ceux qui se complaisent dans des extases, sans qu'un rite initiatique soit pourtant en question. Il est intéressant de noter, pendant que nous y sommes, l'attitude de l'apôtre face aux phénomènes des transports et des visions extatiques. Nous savons qu'il a lui-même été transporté jusqu'au troisième ciel et qu'il lui a été donné d'entendre là, dans le paradis, des paroles ineffables (2 Co 12.1-9). Mais Paul, comparativement aux sectateurs de Colosses, est toujours resté très discret sur ce qu'il a vécu. Non seulement il est demeuré circonspect à ce sujet, mais jamais il n'a incité les disciples à l'imiter dans ce domaine. Ainsi, en ce qui concerne ces phénomènes, l'attitude de Paul prend le contre-pied des prétentions mystiques des hérésiarques de Colosses.

[71] Nous avons tiré cette réfutation de l'hypothèse de Dibelius par Lyonnet dans le commentaire de Peter O'BRIEN, op.cit., p. xxxvi.

[72] Voir, à ce sujet, James D. G. DUNN, op.cit., p. 29. Dunn (ibid., note n° 27) remarque comment Bruce, sur ce point, a changé sa pensée depuis la première édition de son commentaire sur l'Épître aux Colossiens : d'abord : “ a Judaism which had undergone a remarkable fusion with... an early and simple form of gnosticism ” (F. F. BRUCE, The New International Commentary on the New Testament : The Epistles of Paul to the Ephesians and to the Colossians, Grand Rapids, Eerdmans, 1958, p. 26) ; et maintenant : “ an early form of merkabah mysticism ” (F. F. BRUCE, The New International Commentary on the New Testament : The Epistles to the Colossians, to Philemon and to the Ephesians, Grand Rapids, Eerdmans, 1988, p. 166). Daniel FURTER, op.cit., p. 61, l'a vu, lui aussi. Il expose d'ailleurs nettement la thèse de Bruce (ibid., p. 61-62). Nous étudierons celle-ci un peu plus loin (au point h).

[73] Jean CALVIN, Épîtres aux Galates, Ephésiens, Philippiens et Colossiens, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 319.

[74] Ibid., p. 320.

[75] Ibid., p. 319.

[76] Jean CALVIN, op.cit., p. 319.

[77] Ibid., p. 320.

[78] E. L. Lohmeyer (1959), S. Lyonnet (1962) et P. Benoit (1975) abondent dans le sens de Dunn. Mais puisque la thèse de ce dernier est la plus récente (1996), nous nous contentons ici d'exposer uniquement son point de vue.

[79] James D. G. DUNN, op.cit., p. 29.

[80] Ibid.

[81] James D. G. DUNN, op.cit., p. 29.

[82] Ibid.

[83] Voir James D. G. DUNN, op.cit., p. 30.

[84] Ibid.

[85] Ibid., p. 31.

[86] “ The easy both-and solution to the dispute about Colossian ‘‘heresy'' —viz. neither Jewish nor Hellenistic syncretism, but Jewish/Hellenistic syncretism— is not supported by the evidence regarding the Jewish communauties in Asia Minor. And one should hesitate to speak of ‘‘Jewish Gnosticism'' or ‘‘Gnostic Judaism'' at this period without firmer evidence than Colossian itself (...) ”, James D. G. DUNN, op.cit., p. 31.

[87] James D. G. DUNN, op.cit., p. 31.

[88] Ibid.

[89] C'est d'ailleurs ce que croit E. SCHÜRER, The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ, vol. 3, nouvelle édition revue, Edinburgh, Clark, 1973, p. 27-28, dans James D. G. DUNN, op.cit., p. 32.

[90] James D. G. DUNN, op.cit., p. 32.

[91] Ibid., p. 34. “ At most we have to speak of an apocalyptic or mystical Judaism transposed into the diaspora that has been able to make itself attractive to those sympathetic to Judaism by playing on familiar fears and making more impressive claims. ” (ibid., p. 34).

[92] Pour une exposition détaillée de sa position concernant la philosophie colossienne, voir son article “ The Colossian Philosophy: A Confident Jewish Apologia ”, dans Biblica, n° 76, 1995, p. 153-181.

[93] Alfred KUEN, Les Lettres de Paul, op.cit., p. 279.

[94] Ibid., p. 282.

[95] F. F. BRUCE, op.cit., p. 24. Voir plus particulièrement les p. 279-283.

[96] Voir Daniel FURTER, op.cit., p. 57.

[97] Ibid.

[98] Pour la position de Lähnamann, voir F. O. FRANCIS, et W. A. MEEKS, Conflict at Colossae, Missoula, 1973, p. 213s. (exposée par Daniel FURTER, op.cit., p. 57)

[99] N. Hugedé, Commentaire de l'épître aux Colossiens, Genève, Labor et Fides, 1968, p. 110-118.

[100] Daniel FURTER, op.cit., p. 58.

[101] L. CERFAUX, Introduction à la Bible II, Tournai, Desclée et Cie, 1959, p. 495-496.

[102] Voir, à cet effet, Daniel FURTER, op.cit., p. 59-60.

[103] Daniel FURTER, op.cit., p. 59-60, expose les trois courants de pensée principaux que Schweizer décèle dans la lettre de Paul aux Colossiens : 1) “ Celui de l'hymne : à la crainte d'un conflit entre les éléments, fatal pour l'univers, crainte que l'on entretenait peut-être chez les Colossiens, l'hymne oppose l'assurance philonienne que la fidélité de Dieu arrête le combat des éléments et maintient le monde. À la différence de Philon toutefois, le rédacteur chrétien de l'hymne voit la réconciliation définitivement accomplie en Christ, de sorte que l'on n'a pas à la réaffirmer à chaque célébration du Nouvel An. ” ; 2) “ Le courant de pensée du chapitre 2 est celui de l'hérésie combattue. Il propose une ascèse qui permettra à l'âme d'échapper au cycle des éléments et de s'élever vers le monde d'en-haut. Si elle n'est pas assez pure elle risque de reprendre sa place dans la course infernale, mais si elle en est jugée digne elle devient alors un de ces demi-dieux (ou “ démons ”) qui apparaissent aux hommes comme des “ sauveurs ” et participent aux rites des oracles et des mystères. Philon assimile ces êtres aux anges. Schweizer voit donc un syncrétisme judéo-pythagoricien derrière l'erreur colossienne. ” ; 3) “ Troisième point de vue exposé dans la lettre : celui du rédacteur. Marqué à la fois par Platon et les Pythagoriciens, il ne prône pas une rédemption liée au maintien du monde, mais à l'évasion de l'Église loin des vicissitudes du monde. Or voici que, d'ores et déjà ressuscitée avec Christ, cette Église vit dans le ciel. Elle a certes à veiller à sa conduite morale, mais pas à se plier à une ascèse. ”

[104] Voir F. F. BRUCE, op.cit., p. 23-26.

[105] Voir C. G. SCHOLEM, Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism, and Talmudic Tradition, New York, 1960, cité par F. F. BRUCE, op.cit., p. 21, note n° 88, et p. 24 note n° 100.

[106] Daniel FURTER, op.cit., p. 61.

[107] F. F. BRUCE, op.cit., p. 24.

[108] Daniel FURTER, op.cit., p. 62.

[109] Ibid.