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Samizdat

Les discours idéologiques
sur l'apartheid[1].





Paul Gosselin (1981)

Je voudrais avertir que dans l'exposé qui suivra je vais faire une chose plutôt inorthodoxe. Il s'agira d'un essai de mise en pratique d'une idée que je suis en train de développer en parallèle avec ma thèse de maîtrise. Je vais donc aborder deux positions politiques sur la situation de l'Afrique du sud en tant que discours religieux, c'est-à-dire le libéralisme et le marxisme. En dernier, je présenterai une troisième alternative, "officiellement" religieuse cette fois-ci, et qui sera une tentative d'analyse en termes chrétiens.

Voici ce que j'entends par la notion de religion: Une religion est une idéologie ayant comme objet la résolution de l'aliénation humaine sous ses diverses formes (C'est-à-dire économiques, politiques, psychologiques ou physiques). Ce discours pose d'abord un cadre conceptuel (une cosmogonie) dans laquelle on situe l'homme, ses origines, sa nature et l'origine de son environnement. Ce cadre sert aussi pour situer les causes de l'aliénation humaine. Le discours religieux propose aussi une solution au(x) problèmes) de l'homme; cette solution tiendra compte nécessairement de la conception qu'on a des origines de l'homme et de la nature de son problème. Une religion engage aussi, de toute évidence, les passions les plus fortes chez l'homme.

En deux mots, la religion, c'est un discours sur l'aliénation humaine, ses causes et sa solution.

Cette définition résulte du fait qu'étant chrétien évangélique, j'ai pu percevoir des contradictions à divers niveaux entre mes croyances et les divers discours idéologiques que j'ai pu rencontrer en milieu universitaire. À mon sens, il est illusoire de prétendre qu'une idéologie (politique ou autre) ne puisse être qualifiée de religion parce qu'elle ne comporte pas de référence au surnaturel (ce qui verse facilement dans l'ethnocentrisme, "ce sont eux qui sont religieux... pas nous"). Tout ce qui est changé, ce sont un certain nombre de présupposés épistémologiques qui sont impliqués dans le cadre conceptuel. Il reste que ces discours jouent les mêmes rôles d'intégrateurs sociaux que les religions traditionnelles (bien qu'ils le font avec des institutions sociales différentes)[2]. Au début de mes réflexions sur le sujet, j'avais une certaine réticence à envisager la possibilité que n'importe quel groupement politique puisse être considéré religieux; ces choses me semblaient difficilement assimilables l'une à l'autre. Ce qui a tranché la question, pour ma part, c'est le constat que dans les sociétés dites "primitives" la religion n'a pas qu'un rôle cérémonial, mais touche à tous les aspects de la vie, intégrant même les fonctions politiques. Ainsi, dans les sections qui suivront, les analyses de quatre auteurs seront examinés, ensuite il sera discuté des prémisses épistémologiques impliqués par ceux-ci, en dernier lieu sera présenté la tentative d'analyse en termes chrétiens. J'aimerais aussi avertir que l'exposé qui suit ne dois pas être pris comme une démonstration de mon idée, mais plutôt comme une exploration des implications de celle-ci.


Bref historique
En Afrique du Sud, nous sommes en présence de quatre groupes (ethniques?' raciaux?). Il y a d'abord les noirs qui ont toujours habité ces régions[3]. En 1652, la Dutch East India Company y établit un poste de ravitaillement pour les navires voyageant entre les Bas Pays et l'Asie. Quelques années après son établissement, des employés quittèrent le service et se firent nomades et pasteurs et ce fut le début de ce que les Afrikaners appellent le "trekking". Ce fut aussi le début de l'esclavage en Afrique du Sud. À cet époque, malgré l'esclavage, les noirs jouissaient de certains droits. Par exemple, un(e) noir(e) affranchie) et chrétienne) pouvait marier une(un) blanche (blanc), ce qui n'est pas possible aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce fait qui est à l'origine du troisième groupe en présence aujourd'hui, les "Coloureds" ou Métis (Il faut bien admettre par contre que le concubinage et la prostitution y sont pour quelque chose aussi.). Étant donné la compétition entre des peuples noirs et les Afrikaners (ou Boers) pour des pâturages pour leurs nombreux troupeaux, il y eut plusieurs guerres entre ces deux groupes, les Boers étant de beaucoup inférieurs en nombre, mais leurs armes européennes compensaient cette faiblesse. En 1838 les noirs subirent une défaite majeure et particulièrement sanglante à Blood River: les Afrikaners célèbrent aujourd'hui cet événement comme fête nationale.

Il faut aussi indiquer qu'une des motivations des Boers à émigrer vers l'intérieur des terres fut pour éviter le contrôle des Anglais qui annexeront le Cap au début du 19e siècle. Ces deux groupes furent, dès le début, constamment en conflit l'un avec l'autre et les noirs, pris entre les deux, servirent à diverses occasions de pions, joués surtout par les Anglais contre les Boers. En 1860 le commerce de la canne à sucre sur la côte commence à prendre de l'expansion et, afin de bénéficier d'une réserve de travailleurs agricoles peu coûteux et qui demeureraient sur place, on fit venir divers groupes asiatiques, surtout des gens d'Indes, mais aussi des Chinois et des Japonais. Ce sont eux qui constituent le quatrième et dernier groupe à arriver sur la scène en Afrique du Sud. C'est aussi à cette époque (fin du 19e siècle) que l'on découvrit de l'or et des diamants dans le Transvaal et ceci fut le début de l'intégration de l'Afrique du Sud dans le marché capitaliste mondial. Aujourd'hui, l'Afrique du Sud est un des plus importants producteurs d'or en Occident.

En 1909, l'Afrique du sud est déclarée indépendante mais, dès le début, les noirs n'y ont presque aucun pouvoir politique. Certains avaient un droit de vote à cette époque, mais graduellement, même ce pouvoir minime sera éliminé. Ceci s'est surtout aggravé à partir de 1948 avec l'arrivée au pouvoir d'un parti purement Afrikaner, le Partie Nationaliste. Depuis cet événement, la situation des noirs et des autres groupes non-blancs n'a cessé de se détériorer, tout ceci étant défendu par le pouvoir sous le déguisement d'un programme de "protection culturelle" des groupes ethniques. Il s'agit bien sûr du programme malfamé de l'apartheid ou développement séparé.

Ainsi, dans la situation sociale présente, les rapports de force se dessinent de la manière suivante. Dans le groupe dominant nous retrouvons nos deux ethnies européennes, les Anglais qui contrôlent une partie décisive de l'économie, c'est-à-dire les mines, et les Afrikaners de leur côté qui ont la mainmise sur le pouvoir politique. Relégués complètement au bas de l'échelle sociale, nous retrouvons les divers groupes noirs. Sans droit de vote, ils n'ont pas le droit de s'établir dans les villes, ils n'ont pas accès à de nombreux services, ils sont exploités dans les pires conditions dans les mines et souvent ils vivent au bord de la famine entassés dans les Bantustans (territoires "réservés" exclusivement pour eux). Entre ces deux groupes sont situés les Asiatiques et les Métis qui, généralement, jouissent d'une situation économique supérieure aux noirs, mais au niveau politique leur position n'est guère meilleur Van Den Berghe décrit la situation des métis de la manière suivante (1970:65):

Je n'ai pu obtenir des données très précises sur la situation des Asiatiques, mais, elle semble se rapprocher à bien des égards à celle des Métis. Bien que ce soit un groupe disparate et fractionné, certains constituant presque une petite-bourgeoisie, la majorité ne jouit pas d'une situation économique qui se distingue de manière significative de celle des noirs.


Harold Wolpe
Wolpe est un sociologue de l'Afrique du Sud qui, dans un de ces articles, émet des critiques vis-à-vis de la théorie du colonialisme interne qui est utilisée par le Parti Communiste Sud Africain dans l'analyse des rapports de forces dans ce pays. Selon Wolpe, cette approche a l'effet de réduire les rapports de classes A des rapports entre races ou ethnies. Il explique (1975:234):

Wolpe poursuit en indiquant qu'une telle analyse conduit à des polarisations simplistes et n'explique pas d'aucune façon l'autonomie des questions raciales ou ethniques vis-à-vis les rapports sociaux de production. En examinant les faiblesses analytiques de cette théorie, Wolpe met en évidence de nombreux parallèles avec une autre théorie, plutôt fonctionnaliste, celle des sociétés plurales. Dans la perspective adoptée par Wolpe dans l'analyse du cas de l'Afrique du Sud, on attache une importance décisive au fait qu'il faut rendre compte du système de l'apartheid en termes de rapports entre modes de production différents, bien qu'une telle optique doit tenir compte des changements historiques (1979:135):

Une autre marxiste, Bernard M. Magubane, tient une position assez similaire (1979:9):


Edna Bonacich
Bonacich est une sociologue marxiste américaine ayant été élevée en Afrique du Sud. Elle a produit un article court, mais assez intéressant, sur le développement des rapports de production en Afrique du Sud qu'elle analyse par le moyen du "split labour market theory" (ou la théorie du marché de l'emploi éclaté). Elle explique ainsi sa théorie (1979:107):

Bonacich indique que, dans le cas des noirs, le fait que leur niveau (elle utilise le terme "niveau de vie) économique soit relativement moins élevé que celui des européens lors de la conquête a fortement influencé le niveau des salaires qu'ils ont exigés. Ainsi, bien que les capitalistes européens cherchaient à engager le main d'oeuvre noire de manière permanente, celle-ci résistait à l'intégration. Généralement, les noirs migraient de leurs villages, travaillant à l'extérieur pour une courte période, puis, après avoir gagné une somme d'argent préétablie, y retournaient avec leurs gains. Cette stratégie avait l'effet de frustrer le capitaliste et conduit celui-ci à importer une main d'œuvre plus "fiable" qui sera celle des asiatiques. Ce fait aura pour conséquence de mettre les noirs dans une position très défavorable quant aux salaires qu'ils pouvaient exiger du capitaliste blanc. Bonacich explique les conséquences de cette situation sur la syndicalisation des noirs (1979: 107):

Les ouvriers blancs, par contre, n'avaient généralement aucune possibilité de "retourner au village" (vivre de l'agriculture) et donc avaient tout intérêt à se syndiquer. Ayant une présence continue dans le milieu de travail, l'organisation des syndicats blancs se fit donc assez rapidement. Une fois cette situation acquise, le salaire des blancs sera désormais plusieurs fois plus élevé que celui des noirs. Il reste que, pour le capitaliste, il est beaucoup plus avantageux d'engager des noirs. Dans ce contexte, il devient alors possible de comprendre les diverses mesures de protection pris historiquement par les ouvriers blancs afin de ne pas être délogés par des ouvriers noirs. Selon Bonacich, cette crainte des ouvriers blancs d'être délogés est un point crucial qui doit être pris en considération avant de pouvoir expliquer les diverses stratégies racistes employées par les blancs vis-à-vis des noirs. Ainsi, d'après son analyse (et à l'encontre d'un marxisme classique) la classe ouvrière blanche est loin d'être une classe révolutionnaire. Dans le cas de l'Afrique du Sud, elle constitue plutôt l'obstacle le plus important à la révolution. Bonacich indique qu'idéalement la solution serait l'unification de la classe ouvrière (noire et blanche) contre le capitalisme international, mais elle émet des doutes quant aux possibilités réelles qu'un tel événement se produise (1979:115).


Pierre L. van den Berghe
Van den Berghe est un sociologue libéral né au Congo qui a été beaucoup influencé par un autre libéral sud-africain bien connu: Leo Kuper. Van den Berghe utilise une synthèse assez curieuse du fonctionnalisme et de la dialectique pour comprendre la situation de l'Afrique du Sud. Son fonctionnalisme lui sert pour rendre compte du manque de consensus au niveau des valeurs dans cette société: les valeurs de chaque groupe sont en conflit avec les valeurs des autres de manière à peu près irréconciliable. A son avis, le fonctionnalisme est inadéquat pour rendre compte du fait que les sociétés changent et qu'elles survivent même lorsqu'il y a de très grandes tensions entre groupes sur de longues périodes, puisqu'un des postulats du fonctionnalisme c'est que toute société tend d'elle-même vers l'intégration et l'équilibre. Ainsi, il lui semble nécessaire de se référer à la dialectique pour rendre compte de l'accroissement des tensions. Il faut bien indiquer que ceci ne fait pas de van den Berghe un marxiste. Pour lui, il n'y a pas qu'une détermination économique, mais une pluralité de déterminations, ce qui fait que dans le cas de l'Afrique du Sud, il tient le facteur racial pour aussi important (sinon plus) que l'économique. Selon van den Berghe, les blancs de l'Afrique du Sud, par l'entremise de leur programme d'apartheid, se creusent rapidement une tombe et il s'attend à ce que la révolution éclate à un moment donné.

Dans son dernier livre, The Liberal Dilemma in South Africa, van den Berghe discute des faiblesses de la stratégie libérale de la non-violence (1979:12):

Ailleurs il indique (1979:14) que le problème fondamental de ce pays est économique et il admet que la position libérale de non-violence est définitivement dépassée par les événements actuels (1979:13):

Van den Berghe indique aussi assez clairement (1979:13) qu'il s'attend que seule une rébellion armée et violente puisse venir a bout du système de l'apartheid.

Hamish Dickie-Clark
Dickie-Clark est un sociologue libéral de l'Afrique du Sud qui enseigne présentement au Canada. Selon Dickie-Clark (1979:50) la perte d'influence qu'ont subie les libéraux dans le domaine politique en Afrique du Sud est due en bonne partie à un certain nombre de prises de position dont il met en rapport avec les conceptions libéraux de l'homme et de ses besoins. Parmi les prises de position qui ont fait exclure les libérales des questions politiques d'actualité, il y a d'abord leur rejet constant de même la menace de recours à la violence, leur refus de coopérer avec le Congrès National Africain (la ANC, les noirs nationalistes) à cause de leur acceptation de membres marxistes, et leur retard à accepter les boycottages et divers formes de résistance passive comme des moyens légitimes de protestation. En plus de ceci, les libéraux ont démontré une incapacité généralisée de prendre position sur divers questions dans une situation politiquement très polarisé. Voici comment Dickie-Clark met ceci en rapport avec la vision du monde libérale (1979:51):

Un autre problème avec la vision du monde libéral que soulève Dickie-Clark, c'est qu'elle est très individualiste et ceci a tendance à l'isoler en Afrique où la communauté jouit d'une grande importance. (1979:52)


Comparaison
Au niveau des prémisses épistémologiques (la cosmogonie), le marxisme et le libéralisme partagent tous deux une vision du monde matérialiste et évolutionniste. Ils sont, de ce fait, les héritiers du climat intellectuel européen de la Renaissance et du siècle des Lumières. En comparant ces deux idéologies du point de vue de leurs cosmogonies, le marxisme parait plus rigoureux et plus conséquent avec son cadre conceptuel matérialiste que ne l'est le libéralisme. Le dernier semble hésiter à mi-chemin entre un christianisme superficielle un matérialisme radical. Du christianisme il retient la notion que les hommes sont réformables, mais nie (ou n'accorde qu'un statut symbolique à) l'importance de la référence à Dieu pour la réalisation de cette transformation. Du matérialisme on retient un vocabulaire d'analyse sociale, mais en rejette la violence comme moyen de transformation sociale. Ainsi, pris entre ces deux discours antagonistes, le libéralisme ne retient finalement que des aspects secondaires de ceux-ci. Un passage biblique s'applique ici de manière assez intéressante (2Timothé 3: 1,2,5):

Vis-à-vis des faits sociaux, les discours marxistes et libéraux ont tous deux tendance à être empiriquement exhaustifs, mais lorsqu'ils agissent sur la réalité, ils établissent des déterminances à des endroits différents (ou de manière différente). Un point qui est crucial à saisir c'est que l'action sur la réalité découle toujours d'une conception de cette réalité, d'où l'importance du rapport entre l'action politique et les conceptions qui sous-tendent cette action. Dickie-Clark, en discutant de l'individualisme libéral, met en évidence l'importance de la subjectivité dans le choix des conceptions (1979:53):

Ainsi, lorsque nous plaçons côte à côte le marxisme et le libéralisme, on remarque que ce qui les distingue le plus sont les présuppositions qui sous-tendent leurs moyens d'action. Telle qu'explicité par Dickie-Clark, le libéralisme conçoit que les hommes peuvent être réformés et éduqués, qu'aucun autre moyen d'action est nécessaire (ou utile). Du côté du marxisme, nous constatons la présupposition opposée qui conçoit que le capitaliste exploitera toujours l'ouvrier lorsqu'il en aura la chance et que le seul moyen d'éviter ceci, c'est d'éliminer le rapport de production qui donne au capitaliste la possibilité d'extraire le plus-value[4]. Voyons maintenant le discours chrétien et ses présuppositions.

 

Une analyse en termes chrétien
Le cadre conceptuel chrétien se réfère de toute évidence a l'existence de Dieu, mais au niveau des rapports sociaux actuels, un événement est particulièrement à retenir. Il s'agit de la Chute, qui figure dans les premiers chapitres de la Genèse[5]. Ce récit nous explique que l'aliénation humaine, sous toutes ses formes, résulte de la coupure qui s'est faite entre Dieu et les hommes à la suite du rejet par les hommes de la relation proposée par Dieu. Cet événement constitue donc le déclencheur de la deuxième loi de la thermodynamique dans le monde physique et dans les rapports sociaux. On peut donc postuler qu'à partir de la chute lorsqu'il y aura pouvoir, il y aura aussi exploitation et oppression de ceux qui n'en ont pas. Paradoxalement, les marxistes semblent postuler ceci mais de manière implicite puisqu'ils demeureront toujours sceptiques quant à la suggestion qu'un capitaliste n'extorquera pas toute la plus-value possible. La Chute, en tant que présupposition, permet de rendre compte de l'exploitation et de l'oppression qui existe aussi en dehors du système capitaliste. Même les sociétés sans classes, que les anthropologues ont souvent vantées, recèlent aussi la violence et l'oppression, soit envers "les autres" (ceux qui ne sont pas membres du groupe) ou vers une certaine partie du groupe dans une position de force défavorable (les femmes, les enfants, les vieillards, etc.).

En partant du constat qu'il y a aliénation entre Dieu et les hommes qui, par enchaînement, affecte à son tour les rapports homme à homme, le rôle du Christ, qui est venu rétablir cette relation, devient alors central. Ceci implique d'abord pour l'individu le passage par la 'repentance' c'est-à-dire l'usage de "l'arme" préférée de l'intellectuel: la critique, au seul endroit où elle risque d'être efficace, c'est-à-dire envers soi-même. La repentance (ou, pour employer un terme marxiste, l'auto-critique) implique la réalisation de sa part de responsabilité dans l'oppression et l'exploitation dans ses rapports avec les autres (peu importe l'échelle de pouvoir sur laquelle se jouent, ces rapports). Elle implique aussi l'admission de sa propre rébellion face à Dieu. En acceptant que Jésus devienne le premier dans sa vie, l'on s'ouvre à la possibilité d'être changé et de devenir un véritable révolutionnaire. C'est ici que le vrai christianisme se distingue du libéralisme puisque Christ lui-même est le moteur du changement et non pas les réformes structurales d'un système social, bien que de telles reformes soient souvent nécessaires.

Tout ceci peut sembler, à premier abord, ultra-utopique, mais pour ma part je sais que c'est réel parce que j'ai vu de nombreuses personnes être changées par une rencontre avec Dieu et moi-même, j'ai été touché par une telle rencontre. Je suis conscient que ceci n'a rien de très objectif comme processus, mais, comme l'a indiqué Dickie-Clark plus tôt, les présuppositions épistémologiques comportent toujours un important aspect subjectif. Le processus de la Repentance implique en effet, dans un premier temps, une restructuration des rapports immédiats de l'individu face aux autres. Ensuite, impliqué dans un groupe local de chrétiens, il pourra alors affecter les rapports sociaux globaux de manière plus efficace. Dans le cas qu'un groupe chrétien (ou se disant chrétien) n'affecte pas les rapports sociaux, je crois qu'il est légitime d'émettre des doutes sur la véracité de leur christianisme. ("La foi sans les œuvres est morte." Jacques 2:17)

Jusqu'ici, il faut bien admettre que les chrétiens face aux questions politiques ont tendance e réagir de deux manières, soit par l'apathie ou par la défense du statut quo. A mon sens, avant que les chrétiens puissent jouir d'une crédibilité quelconque dans la critique des rapports sociaux "at large", ils devront, sur le plan corporatif, rendre compte des nombreuses injustices historiques dont ils sont responsables eux-mêmes.

Dans le cas de l'Afrique du Sud, déjà certains chrétiens se sont montrés révolutionnaires bien que leurs activités "religieuses" soient peu connues. D'autres (la Dutch Reformed Church), se sont montrés parmi les plus réactionnaires, allant jusque défendre le racisme comme la volonté de Dieu, ce qui est évidemment ridicule. En commentant la notion de la permanence de l'aliénation, on a émit l'opinion que, bien que l'aliénation semblait un fait permanent chez les hommes, l'exploitation (capitaliste, je présume) pouvait être éliminée dans le socialisme. À mon avis, ceci vaut guère mieux que les "consolations" de nos curés qui nous disaient: "La misère sur la terre et le ciel à la fin de nos jours." J'aimerais conclure avec une citation qui illustre assez bien, à mon sens, le malheur de l'utopie marxiste (Martha Harnecker sur la disparition de l'état, 1974:105):




 

Commentaires du prof (marxiste):
Essai qui vous implique directement puisque vous tentez de lire la situation sud-africaine à partir du libéralisme, du marxisme et du christianisme tel que vous le [dépeignez]. Toutefois, l'exposé est d'une part trop succinct et d'autre part ne situe pas de manière soutenue les fondements épistémologiques des différents cadres théoriques. Enfin comme je l'ai évoqué lors de votre exposé oral, votre position idéologico-politique est celle d'un militant et à ce titre débusque difficilement la réalité de la domination ethnique et classiste en Afrique du sud.



Bibliographie

 

Adam, Heribert
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Bonacich, Edna
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Croom Helm, London, 1979. 164 p.

Broyelle, Claudie et Jacques; Tschirhart, Evelyne
Deuxième Retour de Chine
Ed. Seuil (coll. Points), 1977. 308 p.

Cranston, Maurice A Dialogue on Socialism Between Samuel Taylor Coleridge (1772-1858) and Robert Owen (1771-1858). pp. 26-34
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Dickie-Clark, Hamish
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Legum, Colin et Margaret
South Africa: Crisis for the West
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Lewis, Clive Staples
Mere Christianity
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Luthuli, Albert et ali.
Africa's Freedom
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Magubane, Bernard M.
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Monthly Review Press, N.Y., 1979. 364p.

Morris, Henry M.
Scientific Creationism
Creation-Life Publishers, San Diego, 1974/78. 277 p.

van den Berghe, Pierre L.
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Wolpe, Harold
The theory of internal colonialism: the South African case. pp.229-252
in Oxaal, Barnett and Booth: Beyond the sociology of development.

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Wolpe, Harold
Capitalisme et force de travail bon marché en Afrique du Sud: de la ségrégation à l'apartheid. pp. 99-135
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Yinger, J. Milton
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MacMillan, N.Y., 1970.

collectif
The Republic of Transkei
C.van Rensburg, Johannesburg, R.S.A. 1976.



Notes

[1]- travail présenté dans le cours Colonisation, division ethnique et spatiale du travail et formation du système capitaliste mondial. (mai 1981; professeur: Mikhaël Elbaz, Université Laval)

[2]- Pour une discussion intéressante sur l'interaction entre le politique et le religieux, lire Greeley 1972: 200-212.

[3]- Il faut souligner qu'un grand nombre y furent apportés pour servir d'esclaves.

[4]- J'inclus en annexe de ce travail une discussion intéressante (a lire si vous en avez le temps) sur le socialisme. Dans le cas d'Owen, son socialisme ressemble beaucoup plus à un discours libéral . Néanmoins, on y voit illustré de manière intelligente les difficultés qu'on peut rencontrer en essayant d'établir des liens entre utopies et moyens d'action.

[5]- Pour une exposition intéressante des évidences scientifiques validant le "mythe" judéo-chrétien, voir Morris: 1978