Plan Cosmos Arts Engin de recherches Plan du site

Samizdat

J'ai le droit d'être heureux(se)!





Paul Gosselin

Avertissement
Pour certains évangéliques, le texte qui suivra peut choquer et irriter, car il remet en question des idées reçues dans plusieurs milieux évangéliques. Si tel est le cas, j'encourage le lecteur à poursuivre jusqu'à la fin, de manière à se faire une vision d'ensemble.


Une question épineuse
Un soir où je discutait avec un copain chrétien, impliqué à donner un cours de préparation au mariage, qui relatait qu'un des participant(e)s, après qu'on leur ai expliqué que l'engagement du mariage c'est pour le meilleur et le pire, lui a posé la question suivante. "Mais qu'est-ce qui arrive si je ne suis pas heureux(se) ?"

Comme on dit dans un québécois vulgaire; “ MAUDITE[1] bonne question ”...

Je ne me souviens plus ce qu"a répondu mon copain, mais si j'avais été là (ayant la présence d'esprit nécessaire, évidemment) j'aurais répliqué: "D'où prends-tu cette idée que t'as le "droit d'être heureux(se)" ?? Qui t'as dit que t'avait le DROIT d'être heureux(se)?" Une autre manière d'exprimer la chose qu'on entend parfois chez certains prédicateurs évangéliques est l'affirmation équivalente: «Tu as le droit d'être béni(e)!». Il faut noter qu'au départ les Écritures ne font aucune promesse de ce genre pour la vie sur cette terre. D'où nous vient de telles conceptions alors?

À mon avis, cela vient non pas ds Écritures, mais des idéologies païennes qui nous entourent. Discutant de l'influence des philosophes du Siècle des Lumières, l'écrivain canadien John Saul et penseur sécultier note (1993: 511)

Évidemment lorsque les philosophes des Lumières ont rejeté Dieu, il fallait rejeter aussi le concept du ciel, le paradis après la mort. Vu leur idéologie matérialiste[1a], ces philosophes devaient établir leur paradis ici-bas! On a donc cru pouvoir établir un Eden sur terre. Soit dans une race aryienne pur, soit dans une société sans classes ou encore dans un paradis capitaliste de consommation illimitée. Et chez les évangéliques du 20e siècle, plutôt que rejeter et critiquer cette doctrine perverse et ces paradis factices, en général les évangéliques ont choisi de l'imiter plutôt et d'en faire des versions évangéliques où l'on nous promet un paradis ici-bas! Quelle honte ! Et cette doctrine perverse du "droit d'être heureux(se)" véhiculé en milieu évangélique ne regarde qu'un aspect des Écritures et néglige complètement l'autre côté de la médaille, c'est--dire le fait que le chrétien vit dans un monde déchu et non pas dans le jardin d'Eden. En somme cette théologie superficielle nous affirme qu'on a droit au paradis, ICI! On rencontre ce genre de message de manière subliminale dans les pubs emmerdantes de cosmétiques pour femmes, où la dame fait un petit sourire à la fin et marmonne, "je le mérite bien"... (c'est-à-dire, je mérite d'être belle, je mérite d'être estimée, d'avoir l'attention des hommes, je mérite d'être heureuse, etc.). Chose certaine, les boîtes comme l'Oréal qui font ce genre de publicité ont des recettes dans les milliards de dollars/année et ne font pas cette pub au hasard. Ils ont certainement fait des sondages et savent que c'est bien ce que pensent déjà les femmes... Songez à ceci, lorsqu'on discute avec une femme évangélique qui songe sérieusement à divorcer son mari, une des choses qui lui sortira de la bouche dans de telles circonstances est: « Je ne suis pas heureuse! Pourquoi rester pris dans une relation qui ne marcheras jamais? » Ah, comme si c'était un droit inaliénable... Comme si cela justifiait le fait de violer des voeux prononcés devant Dieu et les hommes... Mais d'où nous vient une telle idée que nous ayons un droit au bonheur? Des Écritures? Sans doute pas... Un jour on demanda à CS Lewis lequel des religions du monde conduit au plus grand bonheur. Voici la réponse délicieusement cynique de Lewis (1947/2002: 58-59):

Mais évidemment un part très large de la théologie superficielle diffusé chez les évangéliques de notre génération nous affirme qu'on a le "droit" d'être heureux. Mais on ne se pose jamais la question: Est-ce vraiment qu'on MÉRITE d'être heureux? Dieu seul sait ce que l'on mérite vraiment... c'est-à-dire le jugement ! TOUT le reste n'est que grâce! Mais ça, notre génération ne veut pas entendre ce genre de commentaire... En tout cas la culture populaire nous vend l'illusion du droit au bonheur. Suffit de penser à l'idéologie Disney qui nous promet qu'on peut réaliser tous nos rêves, suffit de vouloir... Denis de Rougemont a également réfléchi à ces questions et a décapé quelques unes des mensonges qui habitent nos coeurs au sujet du bonheur dans les relations hommes - femmes (1972: 302-303)

Or s'il est assez difficile de définir en général le bonheur, le problème devient insoluble dès que s'y ajoute la volonté moderne d'être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir de quoi il est fait, de l'analyser et de le goûter afin de pouvoir l'améliorer par des retouches bien calculées. Votre bonheur, répétent les préches des magazines, dépend de ceci, exige cela — et ceci ou cela, c'est toujours quelque chose qu'il faut acquérir, par de l'argent le plus souvent. Le résultat de cette propagande est à la fois de nous obséder par l'idée d'un bonheur facile, et du même coup de nous rendre inaptes à le posséder. (…) Tout bonheur que l'on veut sentir, que l'on veut tenir à sa merci — au lieu d'y être comme par grâce se transforme instantanément en une absence insupportable. (…) Le rêve de la passion possible agit comme une distraction permanente, anesthésiant les révoltes de l'ennui. On n'ignore pas que la passion serait un malheur — mais on pressent que ce serait un malheur plus beau et plus « vivant » que la vie normale, plus exaltant que son « petit bonheur »... Ou l'ennui résigné ou la passion: tel est le dilemme qu'introduit dans nos vies l'idée moderne du bonheur. Cela va de toute manière à la ruine du mariage en tant qu'institution sociale définie par la stabilité.

Combien de romans (d'oeuvres cotés jusqu'à la littérature de gare) et de films (avec public cible, les femmes) ont un scénario où ce mensonge du « droit au bonheur » figure comme élément clé ? Alexandr Soljénitsyne, dans l'Archipel du Goulag, décrit les horreurs inhumains des camps de la mort établis par les communistes sous Staline et Lenine. Mais il fait un commentaire TRES intéressant en rapport avec le suicide. Il note un fait étonnant. Très peu de personnes arrêtés ce sont suicidés dans ces camps et en général ce sont des étrangers (non-Russes) à qui ça arrive. La majorité des ces personnes avaient justement grandis, avant le communisme, dans un atmosphère dominé par le pensée Orthodoxe qui avait une place dans sa théologie pour la souffrance. Il faut dire que notre théologie pentecôtiste en particulier a été, sur ce plan, TRES superficielle. Mais Soljénitsyne fait un commentaire intéressant (désolé pour l'anglais):

À mon avis cette conception (fort répandue en Occident) est un des plus gros obstacles au développement de la maturité des chrétiens (car les chrétiens et même nos méthodes d'évangélisation en sont influencées). Si on pense qu' on a le "droit d'être heureux(se)" on va se casser la gueule dès la première tribulation sérieuse, car de telles attentes, dans un monde déchu, ne seront jamais rencontrés. Mais le concept de monde déchu a été oublié par le plus grand nombre d'évangéliques car on veut construire nos petits royaumes ICI-BAS! Il est curieux de constater que les commentaires ironique d'un penseur postmoderne tel que le philosophe slovène Slavoj Zizek peuvent éclairer à quel point « le bonheur » en Occident depends de peu de choses (2003: 41)

Zizek est un drôle de moineau, mais un postmoderne assez typique. Il s'affirme matérialiste et marxiste, mais cite avec autant d'intérêt l'Apôtre Paul, le catholique G.K. Chesterson, l'anglican C.S. Lewis que le bouddhiste D.T. Suzuki, le philosophe Habermas et le marquis de Sade... RIEN n'est exclue de sa bouillabaisse.. mais il faut avouer que l'Écclésiaste avait poussé au max, le jeu de la consommation et a devancé Zizek de quelques milliers d'années sur la possibilité d'atteindre le bonheur au moyen des possessions matérielles... Mais revenons au rêve du bonheur et la question auxiliaire dans les relations hommes - femmes, l'état amoureux. Est-ce effectivement un droit de se sentir "en amour"? Là encore, de Rougemont offre des considérations très utiles à méditer (1972: 335-336):

Être amoureux n’est pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état, aimer, un acte. On subit un état, mais on décide un acte. Or l’engagement que signifie le mariage ne saurait honnêtement s’appliquer à l’avenir d’un état où l’on se trouve aujourd’hui; mais il peut et il doit impliquer l’avenir d’actes conscient que l’on assume: aimer, rester fidèle, éduquer ses enfants. On voit ici combien sont différentes les sens du mot aimer dans le monde d’Eros et dans le monde de l’Agapé. On le voit mieux encore si l’on constate que le Dieu de l’Écriture nous ordonne d’aimer. Le premier commandement du Décalogue: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée » ne saurait concerner que des actes. Il serait totalement absurde d’exiger de l’homme un état de sentiment. L’impératif: “Aime Dieu et ton prochain comme toi-même” crée des structures de relations actives. L’impératif: “Sois amoureux!” serait vide de sens; ou s’il était réalisable, priverait l’homme de sa liberté.

À ce sujet, je rajouterait, l'amour est effectivement un décision, un acte que l'on fait et non une émotion (nécessairement passagère) que l'on subie et sur laquelle on n'a aucune responsabilité. Tandis que la religion postmoderne qui nous entoure fait de l'épanouissement un principe fondamental, les Écritures sont claires que la souffrance du chrétien dans un monde déchu a un sens. Dans le contexte postmoderne, la souffrance ou les contraintes n'ont pas de sens et sont des choses à fuire à tout prix. Rédigé lors de la Seconde Guerre mondiale, dans Mere Christianity CS Lewis[2] a, comme toujours, des remarques fort pertinentes vis-à-vis la recherche d'une religion réconfortante (1943/1985: 46-47)

Et le commentaire final de Lewis est très pertinent. Le désespoir est justement l'aboutissement de ces fausses doctrines, car les Écritures nous affirment que ce monde n'est pas notre véritable Demeure. Mais si on fonde nos espoirs sur un paradis ici-bas, on aboutira tout à fait logiquement à la déception et au désespoir. Ce qui n'est pas sans rappeler la parabole des deux maisons (Mt 7: 24-27) que nous a donné notre Seigneur. L'une construit sur le Roc, l'autre sur le sable. Les évangéliques ont tendance à réduire la portée de ce parabole au contexte de la conversion et au salut, mais dans les faits elle s'applique à TOUTE la vie chrétienne. Si on ne construit pas tous les aspects de notre vie sur le Roc de la vérité, notre part sera justement celle de celui qui «entend ces paroles que je dis, et ne les met pas en pratique, sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ont battu cette maison: elle est tombée, et sa ruine a été grande.» Malheureusement cela décrit la situation de beaucoup d'évangéliques de notre génération... Et quel sera le jugement qui tombera un jour sur ceux qui ont enseigné ces choses? Les Écritures nous disent clairement que «Mes frères, qu'il n'y ait pas parmi vous un grand nombre de personnes qui se mettent à enseigner, car vous savez que nous serons jugés plus sévèrement.» (Jac 3: 1) Mais pour le chrétien ordinaire la question se pose alors, les attentes que l'on nourrit face à la vie sont elles construit sur le roc, sur la vérité?

Étant donnée la proportion très élevée de femmes chrétiennes qui initient les divorces dans les milieux évangéliques au Québec (75-80%) je soupçonne fortement que la personne qui posait la question à laquelle réagi mon copain donnant les cours de préparation de mariage était une femme. Et cette attitude contraste plutôt violemment avec l'attitude notée par le juriste français Alexis de Tocqueville lors d'un séjour aux États-Unis au 19e siècle. Une époque où les convictions chrétiennes avait beaucoup plus d'influence dans les consciences que ce qui est le cas aujourd'hui. Voici son commentaire sur les femmes d'alors dans son essai De la démocratie en Amérique (1835 ; 3e partie, ch. x):

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne ressemble guère aux attitudes que l'on rencontre dans notre génération. Marié(e)s “ pour le meilleur et le pire ? ” Dans nos bouches, bien souvent ce ne sont que de belles paroles... Dans bien des cas, les générations antérieures ont été éprouvées beaucoup plus que nous par les difficultés de la vie (épidemies, difficultés économiques et guerres) et pourtant quelle différence entre les comportements ! Que d'engagements superficiels dans notre génération ! Et les femmes de notre génération doivent faire face à leur part de responsabilité dans cet état des choses. Un jour, devant le thrône du Jugement, elles ne pourront plus jouer la carte de la victime, elles devront rendre des comptes pour leurs actions, leurs attitudes.

Au cours du 20e siècle, les évangéliques ont dû faire face à des idéologies matérialistes dominantes qui rejetaient le surnaturel, le concept d'une Loi divine devant lequel tous les hommes doivent rendre des comptes ainsi que l'idée de la vie après la mort. Voyant leur cosmologie réduite au monde matériel, ces idéologies ont donc dû vendre des paradis et un salut strictement terrestre. Mais le pire c'est que nos églises évangéliques, plutôt que remettre en question ce pathétique salut moderne, ont choisi de remettre en question leurs approches d'évangélisation traditionnelles pour s'ajuster à cette nouvelle réalité. Dans un langage moins nuancé, cela constitu un compromis. Si on réduit à sa plus simple expression la doctrine de l'évangélisation dans bon nombre de nos églises cela se résume à "Viens à Jésus et il te bénira...". Comparez ça à la prédication de Jean-Baptiste dans les Évangiles, des Apôtres dans le livre des Actes. La première chose qui leur sort de la bouche est repentez-vous ! Lorsque l'apôtre Paul paraît devant le roi Agrippa pour se défendre des accusations il décrit sa conversion et note: "à ceux de Damas d'abord, puis à Jérusalem, dans toute la Judée, et chez les païens, j'ai prêché la repentance et la conversion à Dieu, avec la pratique d'oeuvres dignes de la repentance" (Actes 26: 20). Et dans les dernières paroles terrestres de Christ, il ordonna qu'on enseigne la repentance (Luc 24: 47). Dieu ne cherche pas des gens qui ont appris le jargon évangélique et qui ont le sens de leur épanouissement, il cherche des gens changés, repentants, des disciples, dont les péchés sont lavés dans le sang de l'Agneau et qui marchent désormais dans la vérité. Même au milieu du jugement, on voit l'attitude de Dieu aussi dans les 7 fléaux de l'Apocalypse. Quel est le cri de Dieu ?

Mais les idéologies dominantes de notre génération nourrissent ce concept du droit au bonheur et une bonne part des courants de théologie superficielles de notre génération d'évangéliques reproduisent ce concept en lui faisant un packaging avec de jargon évangélique. Et pourtant dans son ministère terrestre, lorsque des gens manifestaient des attentes qu'ils avaient des droits à des bénédictions de la part de Jésus (comme ce fut le cas chez les siens à Nazareth), il rejeta complètement ces prétentions comme on le voit dans Luc 4 : v. 23-30

Et oui, les attentes des gens de Nazareth furent déçues... Et si le mouvement évangélique du monde développé[3] stagne dans sa croissance et que se ferment, ici et là, des églises, faut-il chercher plus loin ?? On a donc cessé de parler sérieusement de péché et de jugement, car on se considère en compétition avec des idéologies mondaines. Dans une très large mesure, depuis la Seconde Guerre mondial les évangéliques ont propagé un évangile superficiel, sans repentence. Faut-il s'étonner que nos églises soient en mauvais état ? Si on a semé de l'ivraire, faut-il s'étonner de récolter de l'ivraie ? Dans son essai The Problem of Pain, C. S. Lewis a fait des remarques fort utiles au sujet du péché.

Nicolas Ciarapica note (juin 2006): “ Les disciples étaient tristes de ce que Jésus allait partir. Mais Il leur dit: "Il vaut mieux pour vous que je retourne vers Celui qui m'a envoyé, parce que si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas. Car, lorsqu'il viendra, il convaincra le monde en lui ouvrant les yeux concernant le péché, la justice et le jugement." Le péché? Parce que tous les hommes sont des pécheurs, sans exception. La justice? Parce que Dieu est juste, et qu'Il ne peut voir le péché, et que pour être racheté, il faut obligatoirement passer par Jésus-Christ, la Justice de Dieu. Le jugement? Parce que celui qui rejettera ce message sera jugé, sans pitié, et rejeté. ” Mais la génération postmoderne qui nous entoure DÉTESTE le concept de jugement. Elle déteste l'idée qu'un Autre puisse lui dicter ce qui est bien ou mal.

Dans l'époque moderne (disons le 20e siècle) les élites ne s'appuyèrent pas sur le salut en Christ. Ils ont recherché un salut soit dans le progrès de la science, dans la raison humaine, l'éducation ou encore dans un changement de système politique, la société sans classes proclamée par le prophète Marx par exemple. Mais ça c'est déjà dépassé. Dans notre système postmoderne[4], le salut est tout à fait banal, pour les masses, leur concept de salut le plus élevé est de devenir un consommateur accompli... et leurs temples, ce sont les centres d'achats... Ou, dans d'autres cas on recherche un salut dérisoire dans la sexualité. Après tout si, à la mort, tout est fini, pourquoi ne pas jouir au max ? Et nous, plutôt que de critiquer les moyens de salut pitoyables, offerts par les idéologies modernes ou postmodernes, on a choisi plutôt d'imiter les méthodes du monde et de vider l'Évangile de son contenu doctrinal réel et offrir un bel emballage aussi attrayant que vide... Le but étant de faire compétition à ces idéologies mondaines, et ce, au même niveau. En d'autres mots, on livre un produit avec des doctrines mondaines, mais avec un packaging évangélique. Là encore, je reviens à l'abandon par nos écoles bibliques d'une prise de position ferme sur la Genèse. Une interprétation molle de la Genèse détruit la fondation de la doctrine du péché, car si la Genèse est un texte allégorique, un genre de leçon morale, qui nous enseigne des vérités spirituelles, qu'est-ce que le péché? Pourquoi même en parler, sinon à titre littéraire, allégorique... ?

Récemment, j'ai trouvé et lu une copie etexte de l'Apologétique de Tertullien. Tertullien était un chrétien romain de l'Afrique du nord qui, au 2siècle, défendait la foi chrétienne contre les critiques de l'époque. Pour ma part, j'étais curieux de la manière dont les premiers chrétiens réagissaient au contexte culturel hostile de leur temps et à leurs critiques. Il faut noter que ces chrétiens faisaient face à des persécutions tout à fait concrètes: arrestations et emprisonnements sommaires, tortures, perte de propriété et l'opportunité de servir de collation pour lions... J'ai trouvé cette lecture déprimante par moments, car Tertullien se vante, entre autres, que tous savent à quel point les chrétiens s'aiment et s'entraident et aussi de la transformation morale évidente de la vie des chrétiens. Il serait bien difficile d'en affirmer autant aujourd'hui à l'égard des évangéliques de l'Occident actuel... Nos églises sont en mauvais état et bien souvent les évangéliques pensent et se comportent exactement comme les païens. Et c'est surtout vrai à l'égard du divorce chez moi où les évangéliques divorcent au même rythme que les non-chrétiens... Chez les évangéliques si individualistes, on a perdu le sens de la communauté. On vient au Seigneur individuellement et l'on a tendance à rester des individus nombrilistes. Trop souvent, on n'a pas plus de relations sérieuses avec les gens que l'on côtoie à l'assemblée qu'avec ceux qui l'on peut croiser dans un centre d'achats... Et la théologie superficielle du "droit d'être heureux/se" encourage et fait incruster plus encore ce nombrilisme. Sur le plan moral, notre témoignage corporatif ne vaut pas très cher. Dans nos rapports de couples et en affaires, souvent notre comportement fait souvent honte au nom de Christ. Notre conception de ce qu'est un engagement, une promesse ne diffère généralement en rien à ce qui prévaut dans le monde qui nous entoure.

Le fondateur de l'Armée du Salut, William Booth avait, en grand visionnaire qu'il était, fit la déclaration suivante, qui est restée dans les annales de l'Histoire de l'Eglise: "Le plus grand danger du vingtième siècle sera une religion sans le Saint-Esprit, des chrétiens sans Christ, le pardon sans repentance, le salut sans nouvelle naissance, la politique sans Dieu et un ciel sans enfer." Ça résume plutôt bien notre situation actuelle, aussi bien l'état du monde que (malheureusement) l'attitude d'une bonne part de l'église.... Déjà au 19e siècle, le catholique Alexis de Tocqueville a vu les premiers balbutiements de ce genre de théologie superficielle chez les protestants aux États-Unis. Il note (1835, partie II, chap ix):

Écoutons la voix d'un évangélique d'une autre génération, d'une génération avant nos compromis actuels. Le prédicateur écossais Oswald Chambers (1874-1917) a écrit dans son livre My Utmost for His Highest (1935/1995: May 6):

Lorsqu'on compare le progrès de l'évangélisation dans le Tiers-monde et la très maigre et chétive "récolte" qui récompense tous nos efforts et dépenses en Occident, il y a lieu de se demander si l'influence de la théorie de l'évolution (qui détruit de manière très efficace le concept d'une loi divine absolue, puisqu'elle évacue le Créateur) n'est pas un facteur très important expliquant cet état des choses. CS Lewis a bien compris ce changement en Occident et il a noté dans son essai Modern Man and his Categories of Thought[4] (1946/1986):

Mais dans notre contexte postmoderne, la grâce ne signifie plus rien pour le non-chrétien, car puisque la Loi divine devcant laquelle tous les hommes seront jugés est un concept dépassé. À son avis il n'y a rien à se faire pardonner. Son intérêt pour le christianisme se limitera donc à ce qu'elle puisse l'aider à s'épanouir,[5] donc d'accomplir son salut postmoderne. Le christianisme se voit alors réduit à rien de plus qu'un autre truc self-help parmi tant d'autres... À moins que quelqu'un ne démolisse la cosmologie de l'individu postmoderne pour reconstruire la cosmologie biblique, il ne comprendra strictement rien au salut biblique non plus.

À la grâce de Dieu! Tous doivent noter que l'éveil des évangéliques à la légitimité de l'activité culturelle est chose souhaitable, mais si par malheur, cet éveil se faisait aux dépens des fondements bibliques et de la vérité, vaut mieux oublier ça...

Il faut noter que pour les élites postmodernes en Occident, la renaissance culturelle du christianisme, telle qu'elle est envisagée ici, serait considéré comme un désastre de grande envergure, un retour au monde victorien, au Moyen Âge. Un monde où existent encore le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux. Intolérable! Il vont s'y opposer par toutes sortes de moyens. Il faut s'attendre à une telle réaction, car une telle renaissance culturelle impliquerait pour nos élites à la fois remise en question et atteinte à leur monopole idéologique actuel, une perte d'influence. Leur meilleure stratégie serait de s'assurer que cet éveil se ferait aux dépens d'un enracinement dans la Parole sur le plan individuel et corporatif. Nous deviendrons alors des consommateurs culturels béats et notre dernier état risquerait d'être pire que le premier. Ce n'est pas un danger imaginaire dans notre culture postmoderne qui rejette la Vérité. Nous ne pouvons jamais nous résigner à être des consommateurs passifs de la culture environnante.

Il nous faut donc cesser de voir les médias en particulier comme des institutions neutres, car à notre époque, ils sont devenus des institutions à la fois politiques et idéologiques, qui filtrent ce que l'on doit savoir, nous disent ce qui est important et dictant le bien et le mal dans bien des domaines. Ils font la moralité et forment la pensée de notre génération.


Conclusion

Les tribulations font partie de la réalité de vivre dans un monde déchu. C'est notre lot. Mais je suis d'accord qu'il est tout à fait vain de rechercher les tribulations. Inutile de démarrer une secte où l’on glorifie la souffrance et le martyre... Les Écritures nous enseignent que les plaisirs du manger, du boire, de la beauté, de l'art, de l'amitié et du mariage viennent de la main de Dieu. À nous de rendre grâce à Dieu à ce sujet, mais gardons-nous de penser que nous ayons un "droit" à ces choses. Bien que le système capitaliste dominant notre époque a avantage à nous faire croire à ce droit (car ça aide à faire rouler l'économie) les Écritures ne fondent PAS ce concept qui est tiré en grande partie de concepts provenant du Siècle des Lumières, idéologies qui cherchaient à établir un paradis ici-bas. Jean-Baptiste illustre bien de ce que Dieu peut penser lorsque nous nous inventons des droits :

Il faut noter que les fausses doctrines vont assez par paires opposées. C'est-à-dire si les générations passées de chrétiens étaient légalistes, la réaction sera inévitablement relativiste (rejet de tout loi, tout interdit). Et si les générations précédentes de chrétiens étaient ascètes et anti-culturelles, les suivantes seront hédonistes sans discernement. Pour l'Ennemi, tous les extrêmes sont bons. La vérité nous ramène au juste milieu.

Un exemple, voyez (Lévitique 26) les bénédictions promises au peuple de Dieu avant son entrée dans la Terre promise. Elles sont toutes conditionnelles au respect de la Loi. Les malédictions sont 3 fois plus nombreuses... Est-ce un hasard? Seule exception, les promesses faites à Abraham et à David quand à leur descendance, mais ce sont des promesses sur l'ensemble de l'histoire et non pas applicable à un individu. Un autre copain chrétien m'a fait le commentaire qu'on a le DEVOIR d'être heureux. Je veux bien, mais il faut nuancer cet état de bonheur est intimement lié à deux choses, soit notre communion avec Dieu et notre obéissance à sa Parole. Dans aucun cas ne s'agit-il d'un "droit" et dans aucun cas est-ce que ça garanti notre prospérité économique. Et il va sans dire que notre relation avec le Père comporte aussi des épisodes de correction (Héb. 12: 5-7). Il faut accepter notre état d'êtres déchus ainsi que sa correction... Mais si on pense qu'on a "le droit au bonheur" ici-bas, on construit notre maison sur le sable.

Il faut éviter toute confusion. Il ne faut pas confondre l'affirmation que «J'ai le droit d'être heureux(se)!» avec la question «Est-ce que le chrétien(ne) peut être heureux(se)?» Il s'agit de deux choses bien différents. Dans les Écritures il est souvent question de l'état de bonheur et d'être heureux, mais il ne faut pas confondre la conception postmoderne que nous en avons du bonheur (et qui influence les chrétiens aussi) avec la conception biblique du bonheur. Dans les Écritures le mot heureux revient souvent, mais on se rends vite compte que ce concept est bien différent de notre conception du bonheur. On voit bien ce décalage dans les Béatitudes où certaines affirmations recoupent notre concept de bonheur, mais d'autres s'en éloignent de manière radicale:

Il ne faut pas fermer les yeux sur ces différences... On le voit aussi dans Actes 5: 41 où les Apôtres battus de verges sont relachés par le Sanhédrin et on note à leur sujet: "Les apôtres se retirèrent de devant le sanhédrin, joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus." Combien d'entre nous réagiraient de la sorte? Si on lit attentivement le Nouveau Testament, on rencontre cette conception aussi dans l'attitude des premiers chrétiens.

On voit bien que les attentes de ces chrétiens à l'égard de la vie sont bien différentes des notres. Dans leur cas nous voyons l'équation: beaucoup de tribulations + pauvreté profonde = joie débordante + générosité. Il faut être honnête, dans notre génération de chrétiens, étant donnée nos attentes, dans les mêmes circonstances cela abouti trop souvent à l'équation suivante: beaucoup de tribulations + pauvreté profonde = amertume débordant + générosité déséchée... Une des raisons pourquoi nos réactions diffèrent tellement de celles de premiers chrétiens se sont justement nos attentes. Nous croyons vraiment qu'on a droit à un certain bonheur, à un certain confort matériel, à une certaine stabilité d'emploi, etc. Et lorsque ces attentes sont déçues, l'amertume s'installe... Il faut bien comprendre, l'amertume s'installe parce que des attentes ont été décues. Examinez-vous. Quels sont les moments où vous êtes le plus frustré ou irrité ou déprimé ? En général c'est lié à des attentes déçues. Évidemment, dans une catastrophe tous ressentent la douleur, mais lorsqu'on a pas de grandes attentes et qu'on ne présume pas de notre droit au bonheur, il y a moins matière à nourrir la crise, plus de chances d'éviter l'amertume.

Nous devons reconnaître que ce droit au bonheur est une idole (et une fausse doctrine venant de la pensée du monde), une idole devant lequel bien des chrétiens ont sacrifiès leurs enfants, leurs mariages, leurs relations avec leurs frères et, ultimement, leur relation avec Dieu. Et ceux qui cherchent à construire leur paradis ici-bas, chercheront des versets obscurs tels que la prière de Jaebets (1Chron 4: 10) pour alimenter leur convoitise, mais ignoreront des versets aussi instructifs où il est question du butin de Baruc (Jérémie 45: 1-4). On appelle cela la lecture sélective... Dans une allocution lors de la réception de son prix Templeton, l'écrivain russe orthodoxe Alexandre Soljénitsyne fit les commentaires suivants sur le domportement du leadership de l'église orthodoxe au moment où la Russie a sombré sous le pouvoir communiste au début du 20e siècle (1983).

Mais vu que depuis quelques générations nos églises évangéliques en Occident ont été gavées de théologie superficielle, il y a lieu de se demander si notre leadership évangélique actuel pourrait traverser une épreuve comparable avec un tel brio ou s'il y a lieu de se douter que la trahison de la Parole et des frères seraient plutôt la norme? Il vaut mieux ne pas se leurrer sur de telles questions. La seule solution véritable est de reconnaître ce problème et de s'en repentir, chacun pour sa part.

Les Écritures nous indiquent que la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. Un aspect de la chose est que fondamentalement, l'homme a des comptes à rendre devant son Créateur sur ses attitudes et son comportement. Mais le système de pensée moderne a renversé cet ordre et Dieu, s'il existe, se trouve désormais dans une situation où Dieu dois rendre des comptes devant l'homme pour sa gestion du monde... Et il ne faut pas penser que les évangéliques en Occident soient à l'abri de cette manière de pensée. L'idéologie évangélique du "droit au bonheur" contribue à rendre Dieu redevable devant l'homme/femme pour le rendre heureux(se), béni(e), épanoui(e), créer un monde juste, etc....Dans ce système de pensée, la doctrine de la Chute est totalement incomprise.

Combien d'entre nous pourraient partager le sentiment des premiers chrétiens? Le concept biblique du bonheur comporte, si on la compare au concept postmoderne, une ambivalence comme on le voit ici "Car le royaume de Dieu, ce n'est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit." (Rom 14: 17). Il faut constater que le concept du bonheur qui domine nos milieux évangéliques actuels est très lié aux conceptions de l'idéologie dominante, très lié à notre capacité de consommation et d'épanouissement (sociale, intellectuelle, physique, émotive, sexuelle, professionnelle, etc.) tandis que la Bible se préoccupe assez peu de ces choses. Le concept biblique est bien plus lié au comportement du croyant qui est fondé dans la vérité, c'est-à-dire assaisonné de sel...



Références


CHAMBERS, Oswald (1935/1995) My Utmost for His Highest. (special updated edition by James Reimann)" Discovery House Books Nashville TN 375 p.

GOSSELIN, Paul (1986) Des catégories de religion et de science: essai d'épistémologie anthropologique. (thèse U. Laval)

LEWIS, C. S. (1940/1977) The Problem of Pain. Harper-Collins (Fount) London 123 p.

LEWIS, C. S. (1943/1985) Les fondemenents du christianisme. Éditions LLB Guebwiller, France (coll. Points de vue) 236 p.

LEWIS, C. S. (1943/1985) Les fondemenents du Christianisme. (éd. révisé de Voilà pourquoi je suis chrétien) Éditions LLB Guebwiller, France (coll. Points de vue) 236 p.

LEWIS, C. S. (1947/2002) God in the Dock. (Walter Hooper éd.). Eerdmans Grand Rapids MI 347 p.

LEWIS, C. S. (1986) Present Concerns. Harvest/Harcourt Brace & Co. London/New York 108p.

NICOLL, Regis (2009) Why Are We So Unhappy?: Examining a Paradox. BreakPoint February 27

ROUGEMONT, Denis de (1972) L'amour et l'Occident. Plon Paris (coll. 10/18) 445 p.

SAUL, John (1993) Les bâtards de Voltaire: la dictature de la raison en Occident. Payot [Paris] 653 , p.

SCHOUTEN, Rob (2010) L’amour n’est pas… Un Sentiment ? Église Chrétienne Réformée de Beauce

SOLJéNITSYNE, Alexandr I. (1974) L'Archipel du Goulag, 1918-1956 : essai d'investigation littéraire. (v1, parties I & II) Seuil Paris 446 p.

SOLJéNITSYNE, Alexandr I. (1974) L'Archipel du Goulag, 1918-1956 : essai d'investigation littéraire. (v2, parties III & IV) Seuil Paris 507 p.

SOLJéNITSYNE, Alexandr I. (1983) Godlessness, the First Step to the Gulag. Templeton Prize Address, London, May 10

TOCQUEVILLE, Alexis de (1835) De la démocratie en Amérique. vol. I

TOCQUEVILLE, Alexis de (1840) De la démocratie en Amérique. vol. II

ZIZEK, Slavoj (2003) The Puppet and the Dwarf: The Perverse Core of Christianity. MIT Press 188p.



Notes

[1] - Nous n'utilisons pas le sacre québécois à la légère ici, car lorsque cette conception du droit au bonheur est admise, cela peut provoquer la chute d'un grand nombre et cela traîne le nom du Seigneur dans la merde et fait blasphèmer les non-chrétiens. Il me semble que c'est une question qui devrait préoccuper au plus haut point tout chrétien.

[1a] -Évidemment les premiers penseurs des Lumières (Voltaire par exemple) étaient déistes et "croyaient en Dieu" mais rejetaient l'autorité des Écritures dans bien des domaines, en particulier la fondation, le livre de la Genèse. Ces philosophes ont constitué un étape passager, rapidemment remplacés par les matérialistes du 20e siècle.

[2] - Voir aussi le chap 21 dans Screwtape Letters CS Lewis.

[3] - Et si les évangéliques sont en croissance dans le monde non développé, cela n'est-il pas dû au fait que la cosmologie évolutionniste et les idéologies qui en dépendent y ont moins d'influence que chez nous (sauf ceux qui sont venus chez nous pour se former et ont subi notre système d'éducation [ou d'endoctrinement si on veut]).

[4] - Publié dans la collection Present Concerns (1986).

[5]- Pour une explication plus détaillée de ce que constitue le système de pensée postmoderne, il faut consulter l'ouvrage Fuite de l'Absolu. Cet essai examine ce qu'est ce système de pensée, quels sont les groupes qui en font la promotion et quels sont les conséquences éthiques qui peuvent en découler en Occident.

[6] - Dans notre contexte postmoderne, on peut légitimer n'importe quelle connerie, perversion ou péché en lui donnant le titre besoin. Peut-être qu'on a besoin de remettre en question ce concept de besoin... Et il ne faut pas penser que les évangéliques de notre génération échappent à cette idéologie. Les statistiques sur le divorce en sont la démonstration.